Toulouse, 3 octobre 2011
Président, Frank, camarades et amis,
Il est bien sûr un peu étrange pour moi d’intervenir ce matin devant vous.
Et certainement un peu étrange pour vous de m’entendre intervenir à un autre titre que celui dont vous et moi avions pris l’habitude : en tant que secrétaire régionale d’UNI Europa.
Je revendique la responsabilité - et le plaisir - de vous avoir amenés à Toulouse, une ville qui, même si elle n’est pas ma ville natale, m’est plus que familière. J’en connais ses rues, ses cafés, j’ai aimé me promener sur les quais de la Garonne. J’aime l’atmosphère de Toulouse et son architecture. J’y ai vécu les désordres motivants de mai 1968.
Beaucoup d’entre vous détectent en m'entendant parler que mes longues et belles années bruxelloises n’ont pas effacé l’accent de mes origines. Mes amis belges me repèrent à cet accent et essaient -vainement!- de l'imiter.
J’interviens aujourd’hui au nom de la Confédération européenne des syndicats, en tant que Secrétaire générale. Je suis la première femme à ce poste. Un défi !
Je voudrais vous remercier, remercier chacun et chacune d’entre-vous, chacune de vos organisations pour le soutien actif que vous avez apporté à ma candidature. Ce soutien m’a été indispensable.
Indispensable et précieux.
Précieux parce que vous m’avez témoigné votre confiance ; je suis fière si je l’ai méritée.
Précieux aussi parce que votre soutien est essentiel, vu la difficulté de la tâche.
Je pèse mes mots lorsque je dis que la période que nous traversons actuellement est une période dangereuse économiquement et socialement, et une période clé pour le mouvement syndical européen.
C’est de cela que je voudrais vous parler ce matin.
Je ne vais pas ici faire une analyse des origines la crise - il faudrait plutôt dire des crises qui se sont succédées.
Mais je tiens à rappeler une chose: sans la spéculation financière, sans la dérégulation du secteur financier, Lehman Brothers ne se serait pas effondrée, la bulle immobilière n'aurait pas enflé en Irlande et en Espagne, et la crise de la dette grecque ne se serait pas enflammée entraînant le Portugal, l’Espagne et l’Italie... Et à qui le tour aujourd’hui?
Mais je tiens à rappeler une chose: sans la spéculation financière, sans la dérégulation du secteur financier, Lehman Brothers ne se serait pas effondrée, la bulle immobilière n'aurait pas enflé en Irlande et en Espagne, et la crise de la dette grecque ne se serait pas enflammée entraînant le Portugal, l’Espagne et l’Italie... Et à qui le tour aujourd’hui?
Alors, il faut contrôler le pouvoir de destruction de quelques centaines de traders qui dans des salles de marché jouent avec l'économie mondiale, jouent avec l'emploi, l'avenir et la vie de millions de gens.
Le travail fait par UNI Europa avec la CES pour réglementer contrôler, rendre transparent le système financier a porté des fruits, même si beaucoup reste à faire. Notre implication commune dans « finance watch » doit continuer et se renforcer.
Nous sommes aujourd’hui dans une tourmente économique et financière qui fait de nouveau vaciller les banques, met en danger la zone euro et dans son sillage, l'union européenne.
Comme beaucoup, et de tous bords politiques, je crois très franchement que nous sommes confrontés à un très haut niveau de risque. Ce n'est pas être alarmiste que de dire cela. Il faut faire face à cette situation.
Dans ce contexte, la CES a pris des positions très claires – contre l’austérité et pour plus de solidarité économique.
Nous disons que pour sortir de cette situation, les plans d'austérité drastiques mis en place - particulièrement en Grèce, au Portugal, en Irlande, en Espagne et maintenant en Italie - ne permettront pas à l'économie de reprendre du poil de la bête, et de créer des emplois.
Nous disons que pour arrêter les attaques sur les dettes souveraines il faut une mutualisation partielle de la dette, une banque centrale qui puisse garantir ces obligations européennes, et arrêter la spéculation, il faut une taxe sur les transactions financière, la fin des paradis fiscaux et de la fraude fiscale et un système fiscal juste, y compris un système qui établisse un taux minimum pour les entreprises. Il nous faut en effet stopper le dumping fiscal entre les entreprises et les pays.
Nous disons que pour arrêter les attaques sur les dettes souveraines il faut une mutualisation partielle de la dette, une banque centrale qui puisse garantir ces obligations européennes, et arrêter la spéculation, il faut une taxe sur les transactions financière, la fin des paradis fiscaux et de la fraude fiscale et un système fiscal juste, y compris un système qui établisse un taux minimum pour les entreprises. Il nous faut en effet stopper le dumping fiscal entre les entreprises et les pays.
La taxe sur les transactions financières que les syndicats réclament depuis des années n'est plus 'impossible' comme on nous le disait avant! Elle fait aujourd’hui partie du programme Barroso! De temps en temps il faut savoir se réjouir!
Bien sûr il reste du chemin à parcourir. De nombreux gouvernements vont s’opposer à la mise en place de cette taxe. De plus le président de la Commission veut se servir de cette taxe pour alimenter le budget communautaire alors que nous voulons qu'elle contribue à compenser les dégâts de la spéculation... Un pas a été fait mais la bataille n'est pas finie.
Je me suis réjouie de voir la publicité « Ja zu Europa, Ja zum Euro » signée par la DGB et toutes les fédérations allemandes, dont ver.di. Oui à l’Europe – Oui à l’Euro – pour renforcer la democratie, promouvoir la croissance, assurer l’emploi et stabiliser l’Euro.
Je vous le disais, la CES a pris des positions contre l’austérité et pour une solidarité économique. Ces positions sont progressistes et courageuses, et nous les avons prises parce que nous savons qu’un retour aux frontières, à une concurrence économique et financière n’offre aucune perspective de croissance et d’emploi. Au contraire, un repli national serait néfaste à tous points de vue.
Ce que nous avons gagné dans les 50 dernières années ne doit pas être remis en cause. Nous ne nous associerons pas aux populistes et nationalistes de tous bords.
Mais nous le savons aussi, ce 'plus d’europe' va de pair avec plus de gouvernance économique.
Il est clair qu’un cadre réglementaire appelé gouvernance économique est nécessaire : les contribuables dans un pays ne doivent pas systématiquement couvrir des erreurs commises ailleurs; les euro-obligations ne verront pas le jour sans que l'Union européenne n'ait de regard sur les économies des pays membres ; de même, le mécanisme de stabilité ne sera pas approvisionné et des sommes attribuées sans contre parties.
Et d'ailleurs, même sans obligations européennes, ne nous faisons pas d’illusions, la gouvernance économique est déjà là.
Le 28 septembre dernier le Parlement européen a voté un paquet de six législations pour la gouvernance économique; les législations serviront de cadre aux décisions budgétaires dans chacun des États membres de la zone euro.
Pour la CES, ce paquet pose de graves problèmes. Si, au cours de la récession de 2009, les gouvernements avaient été contraints de respecter les critères en matière de finances publiques que le paquet sur la gouvernance économique cherche à imposer, les économies européennes auraient été précipitées dans une dépression généralisée.
Ce paquet sur la gouvernance économique combat les symptômes et non les vraies causes de la crise. Ce sont la dérégulation financière et la spéculation, et non « d’irresponsables » dépenses publiques ou négociations salariales, qui ont provoqué l’emballement de la dette et la flambée des actifs financiers.
Un point positif cependant : la déclaration claire contenue dans la réglementation sur les déséquilibres excessifs selon laquelle les systèmes nationaux de négociations salariales doivent être pleinement respectés.
Mais ne nous réjouissons pas trop vite…car, il y a bien d’autres moyens, pour les gouvernements et pour la banque centrale européenne, d’interférer dans la détermination des salaires et des négociations.
La lettre de Jean-Claude Trichet, publiée vendredi dernier dans « il corriere de la serra », est totalement accablante. Je ne sais pas si vous l’avez lue. La BCE, dans cette lettre demande : une privatisation et libéralisation des services publics locaux, une réforme du système de négociation collective, une facilitation des règles d’emploi et de licenciement, une augmentation de l’âge de la retraite etc…
La BCE donne des « conseils » à l’Italie ; elle n’impose pas ! Elle attaque le système de négociation et interfère indirectement dans la détermination des salaires. Bien sûr, elle interfère pour flexibiliser, et faire une pression vers le bas.
Je peux dire qu’elle généralise au niveau européen le programme Harz IV mis en place en Allemagne au début des années 2000…
Sans réaction coordonnée nous allons tous être soumis au régime germanique. Mais l’Allemagne avait une industrie exportatrice, tandis que les pays comme la Grèce – que pourront-ils exporter ? et où ? Ce régime n’est ni socialement ni économiquement soutenable.
Il ne suffit pas de nous indigner devant cet état de choses. Il faut plutôt nous poser la question : qu’est-ce que nous pouvons faire ? Je souligne, qu’est-ce que nous – ensemble – pouvons faire ? comment pouvons-nous agir ? qu’est-ce que la CES peut faire pour empêcher que, sous la pression européenne et sous la pression des gouvernements, nous soyons poussés à négocier à la baisse, toujours plus bas, et à nous faire concurrence sur le niveau des salaires ?
Cette question a été posée au congrès de la CES à Athènes. Comment faire pour empêcher qu’une intervention européenne organise une pression compétitive des salaires et des conditions de travail vers le bas ?
Pour y répondre, le Comité exécutif de la CES discutera d’un document au cours de ses réunions d’octobre et de décembre. Nous essaierons d’identifier une ou plusieurs réponses syndicales européennes. L’une de ces voies – mais certainement pas la seule – est l’option controversée, au sein d’Uni Europa comme au sein de la CES – d’une demande syndicale pour un salaire minimum au niveau national que ce salaire soit négocié ou imposé par la loi.
Nos discussions devraient aboutir à une ligne commune qui, je l’espère, pourra être entérinée au début de l’année 2012. J’aimerais que nos discussions ne restent pas de la théorie. Je pousserai dans cette direction.
Je résume. J’insiste sur l’importance de notre démarche: la gouvernance économique existe et existera. Vu le contexte politique et idéologique nous sommes tous convaincus que cette gouvernance va attaquer, directement ou indirectement, les systèmes de négociation collective, et faire pression sur les salaires et sur la protection sociale, vers le bas, bien sûr. Ce sera fait pour créer une dynamique de concurrence salariale et sociale entre nous. Notre responsabilité est d’agir, ensemble, au niveau européen, pour nous opposer à ces développements.
C’est plus facile à dire qu’à faire. Mais on va essayer. Je suis déterminée à pousser dans ce sens. Cela me paraît être le plus gros enjeu de la CES dans les mois et les années à venir.
Quelques mots maintenant sur la suite du dossier « temps de travail ». Nous avions retardé notre réponse à la Commission européenne jusqu’après le congrès d’Athènes. Il nous faut maintenant décider si nous voulons négocier ou remettre la responsabilité au parlement, et, si nous voulons négocier, avec quel mandat.
La question est complexe. D’une part, pour la CES, une dérogation individuelle et généralisée, telle qu’elle existe aujourd’hui est inacceptable, Et d’autre part, les décisions positives de la cour européenne de justice sur le travail sur appel, qui sont bénéfiques pour les travailleurs, doivent être appliquées.
Il y a deux questions qui se posent à nous.
La première est stratégique : les employeurs (BUSINESSEUROPE) ont accepté la négociation. Comment un syndicat européen pourrait-il la refuser? Il est difficile, me semble-t-il pour un syndicat de refuser de négocier. C’est notre fonction, non ? Pouvons-nous espérer que le parlement européen vote de nouveau une opposition à l’opt out ? Rien n’est moins sûr.
D’autre part, nous le savons, 17 pays ont déjà une ou l’autre forme d’opt out ; le risque est que 27 pays sur 27 décident de déroger, auquel cas nous aurions une législation à laquelle personne n’est obligée d’obéir… un comble !
Dans ce contexte, le comité de direction de la CES a souscrit à la proposition du secrétariat de s’orienter plutôt vers l’option stratégique de négocier, dans le cadre d’un mandat ferme. Ce mandat est actuellement en discussion et nous attendons une réponse de nos organisations pour le début du mois de novembre prochain. Uni Europa fera entendre sa voix.
Enfin, dans le contexte du suivi du congrès d’Athènes, la CES va initier une campagne européenne qui devrait se poursuivre jusqu’aux élections parlementaire du printemps 2014.
Cette campagne sera pilotée par le Secrétaire général adjoint Patrick Itschert et sera présidée par Brendan Barber, Secrétaire général du TUC. Je suis heureuse qu’il ait accepté de présider cette campagne. Les thèmes de cette action sont encore ouverts, mais devraient certainement reprendre l’exigence « à travail égal, salaire égal sur le lieu de travail», exigence qui a été mise à mal par la cour de justice européenne.
Là aussi nous aurons besoin de votre soutien et de votre participation concrète.
Président, chers camarades, j’ai essayé de brosser à grands traits quelques unes des priorités de la CES aujourd’hui.
J’ai un sentiment d’urgence.
J’ai essayé de vous le faire partager.
Mais j’ai aussi un sentiment d’espoir. La conscience que nous dépendons les uns des autres et que nous devons agir les uns avec les autres est beaucoup plus grande qu’elle n’était il y a quelques années.
Nous avons des problèmes; nous devons les affronter; sans tabou.
C’est en tous cas l’état d’esprit dans lequel je suis aujourd’hui dans ma fonction de secrétaire générale – dans laquelle je suis encore certainement beaucoup à apprendre.
Avant de terminer, je voudrais dire un grand merci à tous les affiliés français pour leur accueil et leur aide chaleureuse et fraternelle. Nous avons réussi à réaliser l’unité syndicale. Parfait !
Encore une fois merci à vous tous de votre confiance. Et surtout que personne dans cette salle ne baisse les bras !
Excellent congrès et bonne continuation.
Je vous remercie de votre attention.