Congrès CGT (Confédération générale du travail - France)

Lille, 25/04/2006

To be checked against delivery

Chers camarades,
Lorsque je suis passé de la TUC à la CES, j'ai effectué des visites de courtoisie à Bruxelles.

J'ai notamment rendu visite à un haut responsable irlandais de la Commission européenne que je connais depuis 10 ans. Il m'a félicité en ces termes - “Vous arrivez 10 ans trop tard. Delors est parti depuis longtemps. L'Europe sociale s'est arrêtée. Toute notre attention est portée sur la promotion de la croissance économique. Vous n'arriverez à rien de plus. Vous pourrez seulement maintenir l'acquis de vos prédécesseurs. Pourquoi n'êtes-vous pas resté à Londres ?”.

Et bien, ce fut un conseil dur et brutal. Mais cela était une impression juste et souvent lucide de mon expérience de ces dernières années - pas seulement au niveau européen, mais aussi au niveau national où les pressions tendent vers une Europe moins sociale, une France moins sociale, une Allemagne moins sociale etc.

Il y a une opinion largement répandu parmi les élites. Elles pensent que l'Europe ne peut concurrencer les Etats-Unis ou la Chine ou l'Inde

qu'en bradant l'Etat-providence,
qu'en réduisant les services publics et
qu'en brisant le pouvoir des syndicats à gérer les changements.

Cette opinion se retrouve chez des hommes politiques de centre gauche comme Tony Blair, Gerhard Schröder et leurs homologues français. Ils sont également nombreux à la Commission européenne. Bon nombre d'employeurs allemands espèrent que la Chancelière Merkel deviendra une version germanique de Madame Thatcher alors que certains dirigeants politiques français regardent avec envie et à tort vers les Anglo-Saxons.

Dans un tel contexte, que pouvons-nous faire ?

Nous savons, que nos économies ne sont pas en bonne santé. Le chômage est beaucoup trop élevé. Les emplois précaires se répandent. Les inégalités augmentent. Les emplois émigrent vers des pays moins chers. Le niveau de la recherche et du développement en Europe est insuffisant. L'éducation est généralement inadaptée. L'épargne des ménages allemands et français est investie dans une croissance extérieure à l'Europe.

L'entrée de la Chine, de l'Inde, mais aussi de l'Afrique du Sud et du Brésil dans la mondialisation engendre des défis que nous n'avons jamais connus. La grande finance casino zappe d'un pays à l'autre, grâce à la révolution informatique, sans se soucier des conséquences sociales et des solidarités.

Mais maintenant, la CES et le syndicalisme européen livrent bataille, à tous les niveaux.

Les syndicats français ont mené une bataille farouche contre le CPE et j'ai été heureux d'apporter le soutien de la CES.

Nous ne croyons pas qu'on soutienne l'emploi en déréglementant les normes sociales. C'est moralement et politiquement inacceptable. Cela ne marche pas. La façon dont les syndicats français ont pris cette affaire rend la CES optimiste. D'une certaine façon, le CPE est un beau clin d'œil à l'unité syndicale. Et il a été salutaire pour le syndicalisme français. En travaillant ensemble, et aussi avec les syndicats étudiants et lycéens, les syndicats montrent combien ils peuvent être influents.

Au niveau européen, la situation a beaucoup évolué. Je sais que certains nous ont critiqués. Ils ont considéré que la CES était trop proche de la Commission.

Cela remonte à l'époque où la Commission de Delors, a mis en place le dialogue social, et la possibilité de négociation au niveau européen. L'Europe est le seul continent où existe cette reconnaissance du fait syndical. La dynamique de la Commission de l'époque assurait une reconnaissance du syndicalisme européen et de la négociation sociale. La CES s'est inscrite dans cette démarche

A l'heure actuelle, personne ne peut nous reprocher d'être proche de la Commission. Nous avons empêché la Commission de faire passer la Directive Bolkestein basée sur le principe du pays d'origine et du dumping social. Nous avons stoppé la proposition de la Commission relative à la directive "Services portuaires".

Le comité exécutif de la CES, dès la publication de la directive Bolkestein, a indiqué son refus des propositions envisagées. Les syndicats belges et suédois réagirent immédiatement. La première manifestation fut organisée par les syndicats belges en novembre 2004. Il s'ensuivit un grand mouvement avec l'énorme manifestation en mars suivant à Bruxelles. Les opinions publiques furent alertées dans tous les pays par les syndicats, comme ce fut le cas en Allemagne. Les résultats qui suivirent la manifestation du 14 février à Strasbourg confirment le rôle essentiel du syndicalisme, et de la CES en Europe.

De plus, Joël Decaillon, mon très proche collègue et membre de votre syndicat, a été au cœur de la négociation du projet REACH, une nouvelle mesure sur les produits chimiques, stricte et respectueuse de l'environnement et des travailleurs. Instrument contesté par l'industrie chimique, alors qu'il est un élément essentiel pour une politique européenne basée sur le développement durable.

La crise institutionnelle de l'Europe a donné un nouvel élan au Parlement européen, bien que celui-ci ait changé de majorité. Cela a confirmé ma profonde croyance dans le fait que la démocratie est le meilleur ami des travailleurs.

Certes, ces batailles, comme celle du CPE en France, ne donneront pas lieu à des distributions de médaille. Mais elles ont montré l'existence du syndicalisme européen, et sa solidarité exemplaire. C'est là, la plus belle de nos récompenses.

La CES passe aussi à l'attaque contre des mesures transitoires visant à discriminer les travailleurs migrants en Europe. Cela s'inscrit dans notre combat pour l'application de droits fondamentaux incluant les droits humains, sociaux, environnementaux, de santé publique - tels qu'ils sont définis dans la charte des droits fondamentaux européens. Ils représentent un élément essentiel pour l'avenir de notre combat en Europe et dans le monde.

La décision de la CGT et d'autres syndicats français de soutenir la position de la CES face au gouvernement français pour la suppression de ces mesures transitoires concernant les travailleurs migrants fait partie de ce combat. Nous sommes pour un traitement équitable des migrants.

La CES est encore passée à l'offensive afin de promouvoir le syndicalisme et pour renforcer nos rangs. Nous avons perdu des travailleurs lorsque les industries traditionnelles ont diminué ou ont disparu. Ma propre ville de Manchester, quand j'étais enfant, reposait sur les moulins, les mines et la métallurgie. Maintenant, elle repose sur les services, aussi bien privés que publics. Les filatures et les mines ont été abandonnés et sont devenus des musées industriels.

Notre message syndical est tout aussi important pour les travailleurs qui travaillent dans un hôtel, un magasin ou une banque qu'il ne l'est pour ceux qui travaillent dans une usine ou dans le service public. Nous devons, à l'avenir, tendre la main aux jeunes travailleurs, aux travailleurs précaires, aux travailleurs temporaires ou du privé. Votre campagne contre le CPE et l'engagement des jeunes et des étudiants a montré la voie. La nécessité de promouvoir nos organisations doit être notre objectif.

La CES est passée à l'attaque avec les employeurs. Nous avons amené l'UNICE a conclure, entre autres, un nouveau programme de dialogue social qui inclut des sujets brûlants tels que la migration, la délocalisation, la gouvernance d'entreprise et l'égalité.

Nous sommes prêts à négocier, à traiter des problèmes que rencontrent les travailleurs, les chômeurs et l'Europe. Et ne nous inspirons pas de ce qui se passe de l'autre côté de l'Atlantique ou de l'autre côté de la Manche.

Regardons ce qui se passe dans les pays nordiques. Grâce à d'importantes négociations collectives, dirigé par des syndicats puissants, il y a une croissance économique élevée, un faible endettement, l'égalité, un faible taux de chômage et une excellente protection sociale.

Pour ces pays nordiques leur concept de flexicurité vise à assurer une protection individuelle aux salariés dans la mobilité, en renforçant les droits collectifs, le rôle des partenaires sociaux, et pour ce qui nous concerne la représentation syndicale et sa capacité d'intervention. Comme eux, nous devons passer à l'offensive et adopter une stratégie de propositions qui va au delà du refus pur et simple de toute évolution.

Notre but final est de promouvoir le syndicalisme dans le monde. Nous voulons être au cœur de la branche européenne de la nouvelle institution mondiale unifiée afin de ne pas seulement défendre le modèle social européen en Europe, mais de le promouvoir dans les Balkans, en Ukraine, en Russie et partout dans le monde.

La CGT a une tradition internationaliste forte et la CES doit pleinement prendre part au combat pour un syndicalisme libre en Europe de l'est, en Asie, en Amérique et en Afrique. L'Europe est le leader du syndicalisme international et nous devons projeter ce pouvoir au-delà des frontières de l'Union européenne dans l'intérêt des travailleurs.

Pour terminer, chers camarades, au nom de la CES, une nouvelle fois merci pour votre engagement, votre soutien à Rome, à Bruxelles, à Strasbourg, en France. Et aussi dans notre travail dans la CES. La participation de tout le syndicalisme français est un bien précieux pour le syndicalisme européen. C'est un élément dynamique pour la CES.

Le syndicalisme européen est fort parce qu'il est unitaire.
Je vous en remercie et je vous présente, chers camarades, mes meilleurs vœux pour le futur de la CGT et du syndicalisme en France.

26.04.2006
Speech