« Une nouvelle feuille de route pour l’Europe…
Sans le social?! »
par Rudy De Leeuw & Luca Visentini
Carte blanche parue sur Le Soir du 12 mai 2016
Réponse de Rudy De Leeuw, président et Luca Visentini, secrétaire général de la Confédération européenne des syndicats (CES) à Guy Verhofstadt, Michel Barnier, Guillaume Klossa, Felipe Gonzalez, Maria Joao Rodrigues, Daniel Cohn-Bendit, Roberto Saviano et Lionel Baier.
S’il nous faut saluer la démarche des auteurs de l’appel commun lancé dans Le Soir, lundi 9 mai, jour « de l’Europe », par quelques personnalités européennes pour « rétablir la confiance et relancer la dynamique européenne », il est aussi indispensable, pour les représentants des syndicats européens de tirer, une nouvelle fois, la sonnette d’alarme sociale.
En effet, nous souscrivons à l’idée d’une nécessaire refondation européenne autour de ses valeurs fondatrices de démocratie, de protection, d’accueil des réfugiés, d’appartenance européenne, tel que développé par les rédacteurs du texte du 9 mai.
Mais à la question de savoir si le contenu de cet appel est à la hauteur de la crise de confiance que connaissent les travailleurs et allocataires sociaux à l’égard de l’Europe et du projet européen, la réponse est non.
Ainsi, nous sommes abasourdis et inquiets qu’aucun des six axes développés dans cette publication ne mette l’accent sur le haut niveau de chômage, de pauvreté, d’inégalités croissantes et d’injustice fiscale : qu’aucun de ces axes ne plaide spécifiquement pour une Europe (plus) sociale.
Or, le « Modèle social européen », doit être restauré : même le FMI reconnaît les bonnes performances économiques des pays qui ont de bons systèmes de protection sociale et un dialogue social efficace.
Si, comme prôné par les auteurs, une réflexion des citoyens européens doit pouvoir déboucher sur une nouvelle feuille de route européenne pour « faire de l’Europe une grande puissance démocratique, culturelle et économique», nous disons qu’il n’y aura pas de changement de paradigme européen sans replacer au centre du projet européen les véritables créateurs de ses richesses : les travailleuses et les travailleurs.
Il s’agit donc bien de viser plus de justice sociale et de faire de l’Europe, et dans cet ordre, une grande puissance démocratique, sociale, culturelle, dotée d’une économie au service des travailleuses et des travailleurs et créatrice d’emplois durables et de qualité, pour chacun.
Ce que nous demandons, c’est un nouvel agenda social ambitieux : une législation forte (et non pas des dérégulations en chaine) et des politiques en faveur des travailleurs, avec ou sans emploi, pour leur assurer des emplois de qualité et de meilleures conditions de travail.
Nous pensons en particulier à des hausses de salaires pour les travailleurs (qui doivent combattre les inégalités et doper une croissance durable), à une égalité de traitement, y compris entre femmes et hommes; à une meilleure prise en compte de la santé et de la sécurité au travail, ainsi que de l’éducation, de la formation professionnelle et de l’apprentissage tout au long de la vie.
Nous réclamons des systèmes de santé publique et de retraite décents pour tous, des services publics de qualité et une protection sociale renforcée basée sur la solidarité entre les générations d’Européens.
Nous demandons l’adoption d’un protocole de progrès social européen, à joindre aux traités de l’UE, pour combattre le dumping social et réaffirmer que les droits fondamentaux prévalent sur les libertés économiques et doivent être respectés !
En outre, à l’heure des nationalismes, des individualismes et des replis sur soi, nous appelons tous les Européens à lutter contre toutes les formes de discriminations, qu’elles soient fondées sur le genre, l’origine ethnique, la nationalité, les croyances, les convictions, l’orientation sexuelle, l’identité de genre, le handicap, l’âge, ou l’appartenance à un syndicat.
Enfin, alors que la Commission européenne présente officiellement aux vingt-huit ministres du Commerce le Traité de commerce et d’investissement qu’elle a négocié avec le Canada (CETA) et dont la signature sera décidée en septembre, nous exigeons, plus que jamais, un développement économique durable, c’est-à-dire social.
Le CETA, comme le TTIP, doivent favoriser l’emploi, respecter la prise de décision démocratique, l’intérêt général et l’identité culturelle, protéger les services publics et l’environnement, inclure des droits du travail basés sur les conventions de l’Organisation internationale du travail (OIT).
Ils devraient également faire l’objet de négociations transparentes et démocratiques, sous peine de voir la Confédération syndicale européenne, forte de ses 45 millions de membres, appeler les politiques progressistes au rejet pur et simple du Traité et, d’ailleurs, de tout autre mesure ou disposition européenne qui ne ferait pas du social une priorité.
C’est la raison pour laquelle la Confédération syndicale européenne, à l’offensive, défend, parallèlement à la consultation lancée par la Commission européenne, son propre socle européen des droits sociaux.