Conférence de haut niveau sur la flexicurité

Bruxelles, 14/11/2011

Seul le texte prononcé fait foi

Président, Mesdames, Messieurs,

Aujourd'hui, 14 novembre 2011, nous sommes invités à nouveau à parler de la flexicurité. Mais aujourd'hui aussi 14 novembre 2011, des risques majeurs existent pour la construction européenne et pour l'emploi de millions de travailleuses et de travailleurs.

Je suis donc quelque peu mal à l'aise. N'est-il pas anachronique de discuter aujourd'hui de la meilleure manière de flexibiliser l'emploi à un moment où le danger d'une dépression économique majeure menace? Ne devrait-on pas plutôt chercher à voir comment sécuriser l'emploi dans le contexte actuel?

Je suis donc quelque peu mal à l'aise. N'est-il pas anachronique de discuter aujourd'hui de la meilleure manière de flexibiliser l'emploi à un moment où le danger d'une dépression économique majeure menace? Ne devrait-on pas plutôt chercher à voir comment sécuriser l'emploi dans le contexte actuel?

Mais enfin, puis que la Commission nous y a invités, parlons de flexicurité.

Il ne m'appartient pas dans cette introduction de faire l'histoire sémantique d'un concept, de sa signification originale, de son utilisation -souvent abusive- et de son exploitation -souvent abusive également- au niveau national comme européen.

Je laisserai à d'autres le soin de faire une telle étude.

Cependant, il est pour moi certain que ce concept a des origines et une histoire qu'on ne peut pas ignorer.

Il a été introduit dans un pays, le Danemark, dans des conditions très spécifiques et a été ensuite en quelque sorte kidnappé.

On a essayé de lui faire prendre racine dans des terres et des cultures très différentes et on a tenté de le transposer dans une atmosphère qui lui était étrangère.

Au Danemark trois éléments sont essentiels à la mise en œuvre de la flexicurité:

Des règles d'embauche et de licenciement flexibles,

L'attribution d'un revenu substantiel pendant la période de chômage, ce qui implique l'existence d'un système de protection sociale et de couverture chômage important,

Une politique active du marché du travail incluant la formation tout au long de la vie. Le Danemark a le taux le plus élevé de dépenses publiques pour avoir un marché du travail actif.

Ces trois éléments sont également pour la CES des éléments essentiels à la mise en place de la flexicurité, même si, comme nous le savons, le "modèle danois" ne pourrait pas être transposé tel quel dans d'autres pays.

C'est d'ailleurs ce que la CES a dit, avec les organisations d'employeurs en 2007 lorsque nous avons fait une analyse commune des défis auxquels était confrontés les marchés du travail en Europe, dans le cadre du dialogue social européen.

A la même période, le Parlement européen, lui, insistait sur le fait que la flexibilité devait venir davantage de la formation continue et de l'amélioration des compétences que de la flexibilisation des contrats.

Dans le texte commun de 2007 nous disions que d'importantes préconditions devaient exister pour que la flexicurité puisse fonctionner. Nous disions qu'il fallait des politiques macro-économiques saines, un environnement favorable à la croissance et à une base financière solide pour les services publics et une politique active du marché du travail. Aucune de ces trois pré-conditions n’est aujourd’hui rencontrée.

Or, les politiques développées aujourd'hui, au milieu d'une crise tous les jours plus dramatique, vont a contrario de tout ce qu'il serait nécessaire d'avoir pour que la flexicurité puisse commencer à être crédible dans sa partie sécurité des revenus au moins et implantable ailleurs que dans son ou ses pays d'origine.

Je reviendrai sur deux conditions essentielles au fonctionnement de la flexicurité qui ne me semblent pas être rencontrées aujourd'hui:

D'abord la prise en charge financière d'un travailleur flexibilisé.

Il est très important de rappeler que la sécurité c'est d'abord la tranquillité financière. Payer son loyer ou rembourser le prêt bancaire, permettre à sa famille de vivre normalement, c'est d'abord cela la sécurité.

Il ne faut pas intellectualiser les choses. Si nous sommes trop confortablement assis dans cette salle de conférence, avec, pour beaucoup d'entre-nous un emploi sûr, nous aurons plus facilement tendance à considérer la protection contre le licenciement comme une barrière insupportable. Mais nous, syndicats, sommes confrontés tous les jours aux drames humains provoqués par le chômage ou même la crainte du chômage. Et nous voulons et devons nous en faire l'écho au niveau européen.

La protection, ce n'est pas un mot grossier, c'est une nécessité.

La protection, ce n'est pas un mot grossier, c'est une nécessité.

On nous a aussi souvent dit que la sécurité, de nos jours, c'était autre chose...le monde ayant changé, la sécurité tiendrait à notre capacité de retrouver du travail....mais, non! La sécurité, ce n'est pas l'employabilité. L'employabilité, certes, c'est très bien: être formé pour être intégré sur le marché du travail, c'est nécessaire mais pas suffisant pour assurer la sécurité.

Celui ou celle qui perd son emploi aura d'abord le souci d'avoir un revenu financier suffisant pour pouvoir continuer à vivre normalement.

Or, dans la période actuelle, le leitmotiv se concentre sur le mot austérité, coupes, restrictions.

Je ne vois dans aucun pays une couverture du chômage en augmentation, bien au contraire, et même pas au Danemark. Mes collègues danois pourront me corriger, mais, même au Danemark la sécurité financière des travailleurs licenciés est moins bonne aujourd'hui qu'elle n'était auparavant.

Ce que je vois par contre, c'est la Troïka imposant des mesures de réduction de la protection sociale radicales en Grèce, en Espagne, en Italie, en Irlande et ailleurs.

La lettre du Commissaire Olli Rehn à six pays fragiles de la zone euro est particulièrement éclairante: l'objectif tous azimuts est de couper dans les dépenses, et certainement pas de protéger les travailleurs.

Une deuxième condition pour développer sérieusement la flexicurité est d'avoir un dialogue social tripartite et un système de négociation au niveau national fort. Le tripartisme est important dans ce cas, puisque l'état doit intervenir pour financer la période de chômage et de formation; la négociation au niveau national est, elle aussi, tout aussi importante puisqu'elle doit régler, entre autres, les périodes de préavis.

L'évolution dans ce sens n'est pas non plus positive. Dans de nombreux pays européens le dialogue centralisé est fragilisé ou même activement sapé. Peut-on sérieusement parler de développer la flexicurité en Hongrie, où tout est fait pour rendre inopérant le dialogue social? Peut-on sérieusement proposer aux grecs la flexicurité comme remède à leur maux?

Nous ne pouvons accepter ce qui s’apparente beaucoup à un double langage: celui qui soutient le dialogue, la négociation au niveau européen dans la direction générale emploi et affaires sociales, alors que la Commission, le Conseil, la banque centrale européenne, main dans la main avec le FMI recommandent une flexibilisation des négociations et leur décentralisation.

Cette double face décrédibilise l'action européenne. Les travailleurs et, plus généralement les citoyennes et citoyens se méfient de mots qui, une fois transformés en réalité apportent un moins et pas un plus.

Le concept de flexicurité, sorti de son contexte national, s'est donc taillé une mauvaise réputation. On le considère avec méfiance, hostilité, un peu comme un cheval de Troie...

Alors, aujourd'hui, j'espère que cette rencontre éclairera les enjeux réels de la flexicurité.

Un message à la Commission avant de terminer: donnez aux travailleuses et travailleurs européens des messages concrets et positifs sur l'Europe sociale!

Un message à la Commission avant de terminer: donnez aux travailleuses et travailleurs européens des messages concrets et positifs sur l'Europe sociale!

Pour l'instant elle est en panne sèche et ce n'est pas la réanimation du concept de flexicurité qui va la ranimer.

Le démantèlement de l'Europe sociale ne servirait pas la construction européenne, mais contribuerait à la desservir.

Plus d'intégration économique et financière avec en parallèle moins de démocratie, le démantèlement de la protection du travail et des droits sociaux, de la protection sociale, des services publics et des négociations collectives aurait des conséquences potentiellement destructrices.

Il faut absolument que tous ceux et celles qui ont une responsabilité dans la direction de l'Union européenne en aient une conscience aigue.

La CES n'est pas opposée à un changement négocié, et c’est d’ailleurs ce que beaucoup de nos membres font, mais elle soutient que changement ne doit pas être synonyme de régression.

C'est le message que je voulais vous apporter ce matin.

Je vous remercie de votre attention.

14.11.2011
Discours