Expulsion de Tunisie : « partie visible de l’iceberg » de la répression antisyndicale

La Secrétaire générale de la Confédération européenne des syndicats (CES) est rentrée sans encombre à Bruxelles cet après-midi après avoir reçu l’ordre du gouvernement tunisien de quitter le pays pour avoir participé à une manifestation contre la répression touchant les droits des syndicats et des travailleurs.

Esther Lynch s’était rendue en Tunisie avec une délégation de leaders syndicaux internationaux pour marquer sa solidarité avec l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) dont les membres sont visés par une campagne de harcèlement par les autorités du pays.

Vendredi dernier, Lynch a rencontré Noureddine Taboubi, le Secrétaire général de l’UGTT, avant de participer le lendemain à une manifestation organisée par le syndicat à Sfax.

Après la manifestation, le Président tunisien Kaïs Saïed a publié un article sur son site officiel accusant la Secrétaire générale de la CES d’avoir enfreint la loi en menaçant la sécurité du pays.

Les autorités ont ensuite confronté Esther Lynch en personne pour lui intimer l’ordre de quitter le territoire sous 24 heures. Il lui a également été ordonné d’informer les autorités de ses activités et de ses contacts avec toute personne à qui elle parlerait dans l’intervalle.

Le traitement qu’a subi la Secrétaire générale de la CES rentre dans le cadre de la campagne d’intimidation et de harcèlement menée par le Président Kaïs Saïed à l’encontre des syndicats, et notamment :

  • l’arrestation le 31 janvier du responsable syndical Anis Al-Kaabi pour une grève légitime et légale ;
  • le licenciement de responsables syndicaux ;
  • des poursuites judiciaires malveillantes contre des syndicalistes ;
  • le recours aux forces de l’ordre pour surveiller et limiter les activités des syndicats ;
  • la promotion de syndicats jaunes.

Ces tactiques font partie d’une campagne entreprise par le Président Saïed pour briser la résistance du syndicat envers ses politiques qui font payer aux gens ordinaires le prix de la crise économique, sociale et constitutionnelle.

Les attaques se sont renforcées depuis que l’UGTT et des responsables de la société civile ont lancé une initiative nationale de sauvetage en décembre pour apporter des solutions aux défis auxquels le pays est confronté.

Selon l’indice des droits mondiaux de la CSI, la Tunisie intègre ainsi un groupe de pays où il n’existe « aucune garantie de droits ». C’est le seul pays au monde à être entré dans ce groupe l’année dernière.

La Secrétaire générale de la CES, Esther Lynch :

« En Tunisie, j’ai rencontré des membres et des leaders syndicaux, des personnes courageuses, honnêtes, respectables, qui travaillent dur et portent vraiment la voix des travailleurs inquiets de la difficulté de joindre les deux bouts et du fait que la situation s’aggravera encore en raison des réformes réduisant les subventions pour la nourriture et de l’énergie. »

« Ces personnes ont de nombreuses idées de solutions pour surmonter la crise mais, au lieu d’être écoutées, elles sont menacées, intimidées et attaquées. Ce qui m’est arrivé n’est que la partie visible de l’iceberg. »

« S’attaquer aux leaders syndicaux a pour but de rendre leur travail difficile mais fait également passer un message : cela démontre que les autorités peuvent attaquer les plus forts en laissant imaginer ce qui pourrait arriver aux membres des syndicats les plus faibles et les plus vulnérables. »

« La décision de m’expulser pour avoir pris part à une manifestation pacifique est caractéristique du harcèlement et des intimidations auxquels les syndicalistes doivent chaque jour faire face en Tunisie. Au cours de ces quelques derniers mois, des membres de l’UGTT ont été arrêtés, licenciés et espionnés pour la seule raison d’avoir effectué un travail syndical parfaitement légal. »

« Recourir à de telles pratiques autoritaires contre des syndicalistes et des activistes de la société civile, comme celle dont j’ai fait personnellement l’expérience ce week-end, n’a pas sa place dans un pays démocratique. J’en appelle une nouvelle fois au Président Saïed pour qu’il respecte les droits démocratiques et mette fin à ces attaques contre les syndicalistes. »

« Loin de me réduire au silence, mon aventure de ce week-end a renforcé ma détermination à soutenir les syndicats en Tunisie. Je ferai également part du traitement qui m’a été réservé au plus haut niveau de l’UE. »

Répondant aux allégations d’interférences dans les affaires tunisiennes, Lynch a ajouté :

« L’internationalisme et la solidarité sont au cœur du mouvement syndical, il est donc tout à fait normal qu’une responsable syndicale vienne d’Europe pour soutenir les travailleurs de Tunisie. »

« Le message de solidarité, de justice sociale et de dialogue que j’ai voulu faire passer lors de la manifestation à Sfax n’est en rien différent de celui que j’ai adressé aux travailleurs en France et au Royaume-Uni au cours de ce mois. »

« Nous avons appelé les gouvernements français et britannique à résoudre leurs différends avec les syndicats en négociant avec eux plutôt qu’en les combattant. Et c’est exactement ce que mon message au gouvernement tunisien signifie. »

« Il n’y a dans ce message aucune différence d’approche de la solidarité avec les travailleurs de France, du Royaume-Uni ou de Tunisie. Néanmoins, le fait que j’aie été déclarée persona non grata par l’un de ces pays en dit long. »

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22.02.2023
Communiqué de presse