20 JUILLET - VERSION MISE A JOUR
Conférence à mi-mandat de la CES – Rome, 29-31 mai 2017
LA « DÉCLARATION DE ROME » DE LA CES
Déclaration adoptée à la conférence à mi-mandat de la CES à Rome les 29-31 mai 2017.
Cela fait dix ans que la crise financière de 2007-2008 s’est déclarée.
Une crise bancaire qui a conduit à la crise de la dette publique. Une crise économique qui a déclenché une crise politique et sociale. L’austérité n’était pas la solution et a donné lieu à une désillusion générale et à des réactions excessives contre l’Europe. Les conflits violents dans les régions voisines et le terrorisme sur notre territoire ont renforcé le sentiment de crise. En quête de sécurité, un nombre sans précédent de réfugiés fuient vers l’Europe. Les travailleurs se rendent compte de l’impact de la numérisation et du changement climatique sur leur emploi et leur vie, mais peu d’entre eux voient les décideurs faire face à ces défis.
L’Europe est maintenant en convalescence, enregistrant une croissance lente et une diminution progressive du chômage. Mais une récession suivie d’une reprise hésitante ne doit pas être source de fierté.
Les tendances anti-européennes et anti-étrangers renversées lors de certaines élections récentes, et l’émergence d’un débat politique sur des politiques plus favorables aux travailleurs, l'augmentation des salaires et la lutte contre les inégalités, sont, quant à elles, des avancées encourageantes.
Le choc des retombées politiques de la crise économique a, au cours de cette dernière année, ouvert la réflexion sur l’avenir – de l’Europe, du travail, de la mondialisation.
Les institutions européennes libèrent des fonds d’investissement, parlent d’augmentations de salaire et envisagent même d’augmenter les dépenses publiques. La Commission européenne a lancé un débat sur un pilier européen des droits sociaux, la dimension sociale de l'UE, une mondialisation plus juste et l'avenir de l'UEM. Dans son livre blanc sur l'avenir de l'Europe des 27, le président Juncker a décrit cinq scénarios, notre préférence se portant sur celui qui implique davantage d'unité, d'intégration et de convergence vers le haut. Lors du 60e anniversaire du Traité de Rome, les gouvernements nationaux se sont engagés à œuvrer pour une Europe sociale qui favorise le progrès économique et social. Et les États membres semblent s’être accordés de manière unanime sur le Brexit.
Aujourd’hui, nous pouvons affirmer que la CES a joué un rôle crucial en poussant les institutions européennes à modifier leur approche. Pour autant, l’austérité n’a pas disparu.
Le Pacte de stabilité et de croissance de l’UE est un obstacle qui empêche de nombreux pays d’investir dans l’amélioration des services publics, la création d’emplois de qualité et la croissance. Le troisième accord récemment conclu entre la Grèce et ses créanciers montre que les politiques néolibérales ont encore des conséquences néfastes sur les espoirs et la vie des citoyens et des travailleurs.
La CES est ravie de constater que certains dirigeants européens font maintenant pression pour plus de flexibilité, pour donner davantage la priorité aux politiques économiques favorables à la croissance et pour alléger la charge qui pèse sur les travailleurs. Cependant, nous sommes loin d’un consensus lorsqu’il s’agit de décider de nouvelles politiques. Le Pilier européen des droits sociaux aurait dû être mis sur pied il y a longtemps, pourrait être plus ambitieux et pourrait finir par tomber à l’eau à cause de gouvernements et d’employeurs hostiles.
Il reste de nombreux défis laborieux à relever. Le Brexit n'était pas le choix de la CES ou des syndicats britanniques, et, ensemble, nous insistons sur le fait que les droits des travailleurs et des citoyens doivent primer. Le faux travail indépendant, le travail intérimaire ou à temps partiel, ainsi que d’autres formes d’emplois précaires représentent le côté obscur de la lente réduction du chômage. Les syndicats s’unissent pour défendre les droits des travailleurs et feront pression pour voir apparaître de nouvelles lois. Les politiques de numérisation et de changement climatique doivent être anticipées par une transition juste qui permette aux travailleurs et aux régions industrielles de s'adapter aux changements et de créer de nouveaux emplois.
La crise des réfugiés n'est pas résolue. Les réfugiés sont bloqués en Turquie, en Libye, en Grèce, en Italie et dans les Balkans. Les syndicats s'engagent à redoubler d’efforts pour favoriser une juste répartition des réfugiés en Europe et à collaborer avec les employeurs pour intégrer les réfugiés sur le marché du travail.
La CES et ses membres doivent saisir cette occasion d’orienter les décideurs européens dans la bonne direction. Le moment est venu, non pas d’évoquer les échecs, mais de renforcer nos exigences au nom des travailleurs, pour accroître l’investissement public et améliorer la qualité des services publics, pour une protection sociale décente et pour lutter contre les inégalités, pour une fiscalité équitable, pour des salaires justes et de bonnes conditions de travail, et pour un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée dans tous les États membres de l’UE.
C’est le moment pour les syndicats d’être plus actifs que jamais et de déployer encore plus d’efforts pour faire face à la mondialisation, à la numérisation et aux questions climatiques afin de s’assurer que les travailleurs ne sont pas laissés à l’abandon, et pour réduire les inégalités hommes-femmes et régionales persistantes.
Les syndicats exigent l'intervention des employeurs et des gouvernements à tous les niveaux, du niveau local au niveau européen.
Les institutions de l'UE doivent être plus démocratiques, transparentes, responsables et efficaces ; les travailleurs et les citoyens veulent faire entendre leur voix aux décideurs et exercer une influence au niveau européen et national.
Les syndicats sont réunis ici à Rome pour débattre de nos priorités pour l'avenir de l'Europe et une Europe plus sociale, sur la base de la plate-forme de la CES sur l'avenir de l'Europe.
Nous tiendrons notre parole. Nous voulons répondre aux besoins et aux attentes des travailleurs par des solutions concrètes, et ce faisant, nous collaborerons pour :
- Des investissements pour une croissance durable et la création d’emplois de qualité ainsi que des services publics de qualité.
- Des hausses de salaires et la convergence des salaires vers le haut, grâce à une négociation collective plus poussée, au dialogue social et à la participation des travailleurs.
- Une transition juste vers une économie à faibles émissions de carbone, une numérisation et une automatisation durables, une mondialisation équitable, un agenda commercial progressiste et l'avenir du travail.
- Une Europe plus sociale et davantage de droits sociaux, grâce à un pilier européen des droits sociaux fort qui améliore la vie des travailleurs et à un protocole de progrès social.
- Une action visant à lutter contre le dumping social et salarial et à parvenir à un traitement et une intégration équitables, par le biais d'une mobilité et d'une migration équitables au sein d’un marché intérieur juste.
Voilà nos priorités pour construire une Europe meilleure.
Investissements
La CES est en faveur du plan Juncker – en particulier sa deuxième version, et valorise le rôle joué par la BCE, la BEI et d’autres institutions et instruments financiers européens dans la relance des investissements en Europe, servant à la création d’emplois.
Mais cela ne suffit pas. Le financement est insuffisant (l’objectif de la CES de 2 % du PIB, pour avoir un impact significatif sur la croissance, est approuvé par toutes les institutions financières internationales). La liberté fiscale laissée aux États membres pour investir des ressources publiques est encore trop limitée.
Les réglementations fiscales européennes et la gouvernance économique doivent être réformées, et nous pensons que la réflexion sur l'avenir de l'UEM et le processus du Semestre doivent aller dans ce sens.
La CES réitère ses exigences en matière de flexibilité et de capacité fiscale, y compris la création d’une trésorerie européenne/de l’UEM, ainsi qu’une politique européenne progressiste pour la coordination fiscale, à inclure dans les discussions.
Salaires – négociation collective, dialogue social, participation des travailleurs
La CES a lancé une campagne sur la hausse des salaires, pour répondre à la baisse inacceptable des salaires survenue au cours des dix dernières années en Europe, pour rattraper la productivité croissante, et pour répondre à la répartition inégale des salaires, à l'écart salarial entre les sexes et à la divergence massive des salaires entre les pays occidentaux et orientaux. Nous sommes convaincus que l'augmentation des salaires n'est pas seulement une question de justice sociale, mais aussi un accord win-win pour stimuler la demande interne et la croissance économique.
Nous invitons toutes les confédérations nationales, ainsi que les fédérations syndicales européennes et leurs membres, à soutenir cette campagne et à renforcer leurs efforts visant à partager notre initiative européenne sur les salaires, y compris la convergence des salaires à travers les frontières, en commençant par les entreprises multinationales et leurs chaînes d'approvisionnement.
Les salaires sont une question de négociation entre les partenaires sociaux, et nous devons convaincre les employeurs des avantages d’une meilleure rémunération et d’une plus grande couverture de la négociation collective. Les institutions ont un rôle essentiel à jouer pour mettre fin à l’austérité salariale et à l’interférence dans les pratiques de négociation collective. Elles devraient œuvrer pour renforcer les systèmes de salaire minimum existants et pour promouvoir la couverture de la négociation collective, en soutenant le renforcement des capacités des partenaires sociaux et en établissant des cadres juridiques pour créer et étendre les conventions collectives, la où les syndicats le veulent.
La Commission a commencé à améliorer la participation des syndicats au semestre européen, ce qui a permis de rééquilibrer la narrative précédente sur la modération des salaires, et s'est engagée à relancer le dialogue social à tous les niveaux. Néanmoins, les résultats obtenus ne sont pas encore satisfaisants et nous sommes engagés à améliorer le processus au niveau européen et national, et à pousser la Commission vers un semestre plus respectueux de la société, et qui favorise une répartition plus équitable des salaires, une convergence vers le haut et une meilleure négociation collective.
Nous pensons donc que les salaires et la négociation collective, le dialogue social et la participation des travailleurs, sont des objectifs clés dans la mise en œuvre du Pilier des droits sociaux.
Transition juste – changement climatique, numérisation, mondialisation, commerce, avenir du travail
Les institutions européennes et nationales doivent protéger les droits des travailleurs pour s’assurer que personne ne soit laissé à l’abandon, que pour chaque emploi perdu, plus d’un emploi (de qualité) soit créé, et que le financement public et la gouvernance institutionnelle disposent des ressources nécessaires.
Nous remercions le Parlement européen de soutenir la proposition de la CES d’allouer un Fonds pour une Transition juste afin de contrôler les impacts de la politique climatique sur l’économie et les emplois. Nous invitons la Commission européenne à mettre en place le fonds, à inclure la « transition juste » dans le document de réflexion sur la mondialisation et à suivre la même logique « juste » lorsqu’il s’agit de proposer de nouveaux moyens de financement des mesures de transition du travail pour les travailleurs européens affectés par la numérisation et l’automatisation.
Nous adopterons une initiative de la CES pour un agenda commercial progressiste équitable, à négocier avec la Commission européenne et tous les autres partenaires syndicaux ainsi que les interlocuteurs institutionnels du monde entier.
Pilier européen des droits sociaux
La mise en place d’un Pilier européen des droits sociaux est une étape fondamentale vers une Europe plus juste et une bonne solution pour remédier à l’austérité de ces dix dernières années et aux attaques contre les droits des travailleurs et la cohésion sociale. Nous soutenons donc pleinement cette initiative et l’idée d’une Europe sociale « Triple A ».
Nous sommes également réconfortés par l’ensemble d'initiatives législatives et non législatives proposées par la Commission pour promouvoir un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée, comme le congé parental payé et le congé de paternité. Il est maintenant temps pour les États membres de montrer à quel point ils sont réellement engagés dans la lutte pour l’égalité des sexes et les droits des travailleurs. C’est une question de crédibilité.
Nous voulons des propositions qui fonctionnent, qui répondent aux attentes et aux besoins des travailleurs et qui apportent des résultats concrets. La Commission doit être ambitieuse pour améliorer le socle des droits pour toutes les catégories de travailleurs et garantir la non-régression, définir des normes claires pour la convergence vers le haut, assurer l'accès universel et l'adéquation des systèmes de protection sociale, réduire la précarité du travail et stimuler la création d'emplois de qualité, en s'assurant que la réalisation des droits devienne une priorité pour le Semestre européen, et que la gouvernance économique européenne devienne une « gouvernance sociale et économique » avec des droits sociaux et des libertés économiques tous aussi importants.
La CES et ses membres essaieront de convaincre l’ensemble des partenaires sociaux et des États membres de soutenir le Pilier des droits sociaux. Le Sommet social du 17 novembre à Göteborg devrait être l'occasion pour les dirigeants de l'UE de soutenir le Pilier et de relancer l'Europe sociale.
La CES relancera son initiative pour un Protocole de progrès social, en tant que partie essentielle et condition pour toute modification éventuelle de traité – si aucune modification de traité n’est suggérée, nous explorerons d’autres possibilités d’initiatives législatives, afin que les droits sociaux et les libertés économiques aient la même importance dans les législations et pratiques de l’UE.
Mobilité et migration
Chaque mois, chaque semaine, nous voyons des gens mourir en mer. Cette situation est intolérable. Nous ne pouvons pas accepter le manque de responsabilité et de solidarité dont la plupart des États membres de l'UE font preuve envers les migrants et les réfugiés.
Il est temps pour l'Europe de se sentir concernée par les réfugiés et les migrants, pour des raisons humanitaires et des intérêts économiques et sociaux à long terme. Cela doit être fait en répondant aux besoins des migrants, des citoyens européens et des travailleurs, pour éviter que les populistes et xénophobes ne les montent les uns contre les autres. La concurrence déloyale entre les travailleurs, le chômage et l'exclusion sociale, le dumping social et salarial sont nos ennemis. Nous devons construire une mobilité et une migration équitables, en fournissant à tout le monde des possibilités d'emploi de qualité, en respectant le principe d’égalité de traitement et en promouvant l'intégration et l'inclusion sur le marché du travail et dans la société.
Nous réclamons « un salaire égal pour un travail égal en un même endroit », ainsi qu’une convergence des salaires vers le haut en Europe, entre pays et secteurs, comme entre les multinationales et leurs chaînes d’approvisionnement.
Nous déplorons le fait que la plupart des États membres aient réduit le financement de la coopération internationale avec les pays d’origine des migrants et prônons une politique de coopération au développement de l’UE et de ses membres plus efficace.
Construire une Europe meilleure, sociale et plus juste
La CES s’engage à renverser le discours préjudiciable imposé ces dernières années, et à agir et coopérer avec tous ceux qui veulent construire une Union meilleure, sociale et plus juste, pour l’avenir des travailleurs et de tous les citoyens européens.