Bruxelles, 05-06 décembre 2007
Mettre la qualité de l’emploi au cœur des nouvelles lignes directrices intégrées
Les bonnes nouvelles
1. En enregistrant une croissance impressionnante de 3% en 2006 et après une période prolongée de quatre années de croissance ralentie, l’économie européenne a finalement redémarré. Cette meilleure croissance s’est accompagnée d’une plus forte dynamique de l’emploi et donc d’une diminution du chômage. En effet, avec un taux de presque 7% en 2007, le chômage en Europe n’a jamais été si bas que depuis le début des années 90. La reprise de croissance a également permis de ramener à près de zéro le déficit public moyen dans la zone euro, même si le progrès réalisé n’est pas identique dans chacun des pays. Les pays nordiques ont visiblement réussis.
2. Sur une période de temps plus longue, il faut constater également que, bien que la croissance économique ait été décevante pendant plusieurs années, l’économie européenne a quand même fonctionné comme une ‘machine à création des emplois’. Pour la période 1997- 2005, l’Europe des 25 a crée 18 millions postes d’emploi en plus et le taux d’emploi a grimpé de 6 points pour la zone euro, et 4 à 5 points pour l’Europe des quinze et l’Europe des vingt-cinq.
Quelles leçons à tirer ?
3. Néanmoins, la revendication de la CES pour plus et de meilleurs emplois reste plus valable que jamais. L’Europe est en train de rater l’objectif d’un taux d’emploi géneral de 70% et des femmes de 60% vers l’horizon de 2010. De plus, la qualité des emplois laisse de plus en plus à désirer. En particulier, l’analyse conjointe des partenaires sociaux européens a montré que, même si les contrats de travail à durée indéterminée restent la règle générale, il y a quand même une tendance structurelle à l’augmentation du travail atypique : une grande partie de l’augmentation des taux d’emploi depuis 2000 est liée à celle des postes de travail à temps partiel souvent féminins occupés par de plus en plus de des travailleurs qui n’ont pas pu trouvé une poste de travail temps plein. La part importante des contrats à durée déterminée augmente également d’une façon continue et représente dans quelques pays même un tiers de l’emploi des salariés.
4. Il faut tirer les leçons adéquates de ces développements :
I. Premièrement, la reprise de la croissance en 2006 montre que ceux qui prétendent que l’économie européenne ne peut pas croître parce qu’elle est contrainte par des rigidités comme l’Europe sociale et des droits de travailleurs ont tort. En réalité, l’économie et le marché de travail européen réagissent à la poussée de la demande macro-économique en traduisant celle-ci dans la création de nouveaux emplois et d’activités économiques additionnelles. Un aspect particulier concerne le fait que si les pays européens coopèrent ensemble, l’impact sur l’économie est alors amplifié, comme la relance conjointe de l’économie allemande et française l’a montré en 2006.
II. Deuxièmement, on constate la nécessité de réformes structurelles basées sur le principe que l’Europe sociale est un facteur de productivité et qu’il faut investir dans les personnes au lieu de réduire leurs droits de travail. D’un côté, les travailleurs qui subissent l’insécurité ne sont pas des travailleurs productifs comme le montre la décélération de la croissance de la productivité en Europe qui va de paire avec la précarisation du travail depuis le milieu des années quatre-vingt-dix. Mais l’inverse est également vrai. Si on investit dans la formation des travailleurs, dans la sécurisation des parcours professionnels et dans des contrats et relations de travail stables, on rend alors la croissance et la dynamique de la création des emplois plus soutenable.
III. Troisièmement il devient de plus en plus évident il n'y a pas de contradictions entre les systèmes de bien-être bien conçus et généreux et la croissance économique et la création d’emplois. Au contraire, la plupart des Etats membres les plus performants, ont garanti un haut niveau de protection sociale quand il s'agissait d'atteindre les cibles de stratégie de Lisbonne. Ceci montre que les travailleurs qui se sentent en sécurité et en confiance contribuent activement aux changements structurels continus nécessaires pour faire face aux défis de la mondialisation.
Mettre la qualité de l’emploi au cœur des lignes directrices intégrées
5. Etant donné la nécessité de promouvoir la qualité de travail, y compris la qualité des contrats de travail, la Commission et le Conseil ne peuvent pas se permettre de recopier simplement les lignes directrices existantes. De plus, la CES n’a pas investi une année de discussion et de dialogue avec les employeurs européens pour arriver à une analyse et des recommandations conjointes sur les défis du marché de travail pour devoir constater maintenant que, de toute façon, on ne change rien.
6. La CES demande instamment de la Commission et du Conseil de mettre la qualité de travail au centre des nouvelles lignes directrices 2008-2010 en introduisant les recommandations suivantes :
7. Inviter les Etats membres et les partenaires sociaux nationaux à mieux respecter et à mettre en oeuvre les principes de l’Acquis Social Européen existant. En effet, cet Acquis Social Européen contient des principes importants qui permettent de donner une réponse adéquate à des pratiques de marché de travail non soutenables, comme par exemple le principe des droits équivalents pour les temps partiels, le principe de mettre fin à une suite de contrats à durée déterminée, le principe de ‘à travail égal salaire égal’ et l’égalité hommes/femmes.
8. Inviter les Etats membres et les partenaires sociaux nationaux à compléter les systèmes de protection du travail forts avec des politiques et des mesures qui améliorent les transitions productives des travailleurs. Pour ce faire, la CES insiste sur la nécessité de périodes de préavis suffisamment longues des travailleurs en cas de licenciement. En effet, le préavis permet aux travailleurs concernés de se préparer à temps. Mais il faut faire plus : la période de préavis doit également être utilisée comme une plate forme pour organiser un soutien structurel aux travailleurs licenciés. L’idée est d’aider les travailleurs licenciés immédiatement au lieu de les laisser disparaître pendant des mois dans le chômage, avant que les services d’emploi ne s’occupent enfin d’eux. Ici, les partenaires sociaux sont bien placés pour organiser une telle complémentarité entre protection d’emploi et transitions sécurisées en utilisant les accords collectifs pour créer et financer des structures solidaires qui assistent les travailleurs licenciés.
9. Maintenir et renforcer l’utilisation des objectifs numériques sur l’activation des chômeurs, l’éducation tout au long de la vie, les facilités de gardiennage des enfants, les facilités de soin aux âgés, la réduction de l’inégalité salariale hommes/femmes et de l’échec scolaire. Dés le début, ces objectifs ont constitué le cœur de la Stratégie Européenne de l’Emploi mais ils reflètent aussi un choix politique pour investir dans les institutions et un bon fonctionnement du marché de travail en organisant une ‘compétition vers le haut’ et vers des bonnes pratiques de marché de travail. Il est essentiel que ces objectifs soient non seulement maintenus mais que leur suivi dans la pratique soit aussi garanti de la meilleure façon. Il faudrait donc que des statistiques récentes sur ces objectifs pour tous les pays et que des révisions sur ces aspects soient organisées par la Commission et les ministres de travail.
10. Par exemple pour la CES, il est spécialement important que les points suivants soient méthodiquement utilisés comme benchmarks pour les efforts nationaux de mise en oeuvre de la stratégie de Lisbonne.
• Un « nouveau départ » pour chaque chômeur après 6 mois de chômage.
• La possibilité pour un quart des chômeurs de longue durée de participer à des mesures actives à l’horizon 2010.
• La participation à la formation tout au long de la vie d’au moins 12,5% de la population active adulte (25-64 ans).
• La garantie de soins à la petite enfance à l’horizon 2010 pour au moins 90% d'enfants entre trois ans et leur entrée à l’école et pour au moins 33% des enfants en dessous de trois ans.
• La réduction substantielle de l'écart de salaires entre femmes et hommes à un rythme d’au moins un point par an.
• Une moyenne européenne inférieure à 10% d’abandons précoces dans les parcours scolaires.
11. Avec 15% des travailleurs européens gagnant des salaires bas et avec des millions de travailleurs pauvres ayant un emploi, l’Europe doit faire en sorte que les Etats membres s’attèlent à ces problèmes. Des objectifs concernant la réduction du nombre des travailleurs pauvres et/ou des salaires de misère doivent être réinsérés ans les lignes directrices intégrées.
12. Finalement, si on veut améliorer les taux d’emploi total et réduire la différence entre les taux d’emplois des hommes et femmes, alors il faut également poursuivre des objectifs en ce qui concerne l’accès à des facilités de soins (soins des âgés,…), en plus de l’objectif en ce qui concerne le gardiennage des enfants.
Mettre le ‘E’ de l’Europe de nouveau dans le processus de Lisbonne : Le programme d’action communautaire
13. Même si la responsabilité de mise en œuvre de l’agenda de Lisbonne relève en priorité des Etats-membres, il n’en demeure pas moins que l’Europe a la responsabilité de fournir un cadre européen permettant aux Etats-membres de poursuivre les réformes structurelles désirables au lieu de se trouver dans une situation où les pays jouent l’un contre l’autre par une compétition ‘vers le bas’. En autres mots, l’Europe et les institutions européennes n’existent pas seulement pour créer un marché intérieur sans frontières. L’Union Européenne existe également pour modeler ce marché intérieur, pour promouvoir la coopération entre les états membres, de telle sorte que le dumping social soit évité et que le marché intérieur soit alimenté par une demande macro-économique adéquate :
14. La CES constate que les menaces contre la croissance européenne viennent souvent de l’extérieur et que la chute du taux de change du dollar et la crise ‘subprime’ sur les marchés financiers internationaux peuvent menacer les perspectives économiques européennes. Mais une réponse européenne à ces défis externes est nécessaire et possible. En effet, l’Union Européenne dispose d’instruments économiques comme la politique monétaire de la Banque Centrale Européenne, la possibilité pour le Conseil ECOFIN de définir des orientations de politique de taux de change, le co-financement des projets transeuropéens par la Banque Européenne d’Investissement et des politiques de taxation pour assurer un bon fonctionnement du marché intérieur. La CES invite la Commission à introduire, dans le plan d’action communautaire, un chapitre qui traite de la contribution de l’action communautaire économique à la stabilisation et à la relance de l’économie européenne en particulier dans des situations où des chocs économiques risquent de réduire de maintenir l’activité économique en dessous de son niveau potentiel.
15. Ici, la CES insiste pour que la Commission envisage également de développer une approche de ‘double dividende’ tout en poursuivant une croissance robuste qualitativement différente et aussi plus ‘intelligente’ du point de vue de développement durable.
16. Comme décrit dans l’analyse conjointe des partenaires sociaux européens, les travailleurs sont confrontés à des défis différents sur le marché de travail européen. Une mise en œuvre plus forte de l’acquis social européen peut répondre à certains de ces défis et phénomènes de précarité comme les successions de contrats à durée déterminée et peut assurer des droits équivalents pour les travailleurs à temps partiels. Mais il en reste plusieurs autres pratiques de précarité comme les faux indépendants, les salaires de pauvreté, des statuts de travail atypiques qui fonctionnent comme des pièges, le temps partiel involontaire et plus généralement le manque de flexibilité du temps de travail du point de vue de la comptabilité entre vie professionnelle et vie familiale. L’acquis social existant ne résout pas ou pas suffisamment ces pratiques. Vu que ces pratiques peuvent constituer l’objet d’une compétition vers le bas entre les différents Etats membres et que ces pratiques peuvent également freiner l’offre de travail disponible ainsi que la productivité du travail, l’Union Européenne se doit prendre des actions. La CES insiste auprès de la Commission pour développer dans le programme d’action communautaire l’Acquis Social Européen en vue de le compléter et le finaliser. Pour la CES, la Commission doit donner une priorité aux thèmes suivants :
- Redynamiser les discussions sur la directive travail agence temporaire avec comme objectif de garantir le principe strict de « à travail égal salaire égal ».
- Mettre en œuvre le respect des droits équivalents pour les travailleurs atypiques et leur garantir également des droits de transition de telle sorte que le travail atypique devienne un marchepied social au lieu d’être un piège à l’emploi précaire.
- Complémenter la directive ‘temps de travail’, non seulement en supprimant le ‘opt-out’ mais aussi en introduisant le droit collective pour les travailleurs de pouvoir demander des horaires de travail flexible, de demander un contrat temps plein,un contrat temps partiel ou en retour vers le temps plein ou le temps partiel.
- Revoir et renforcer la directive ‘congé parental’ pour améliorer la réconciliation vie familiale-vie privée.