Bruxelles, 18-19 octobre 2006
1. Le 26 avril dernier, la Commission a publié sa communication « Mettre en œuvre le programme communautaire de Lisbonne - Les services sociaux d'intérêt général dans l'Union européenne » (COM (2006) 177 final). Cette communication fait suite au Livre blanc sur les services d'intérêt général (COM (2004) 374) du 12 mai 2004 et à l'enquête qui l'a suivi.
2. Dans sa réponse, la CES n'entend pas reprendre toute l'argumentation développée dans la communication, mais veut souligner et commenter les points qui lui paraissent les plus importants pour atteindre l'objectif de cohésion sociale qui doit être développé tant au niveau national qu'européen et dans lequel les services sociaux d'intérêt général (SSIG) jouent un rôle important. Elle souhaiterait également souligner les défaillances de cette communication et donner une orientation pour les prochaines discussions.
Des services sociaux qui garantissent les droits fondamentaux
3. La CES est particulièrement attachée aux développements des services sociaux d'intérêt général de qualité, car ils permettent de rendre effectif l'accès aux droits fondamentaux - et l'exercice de ces droits - contenus dans la Charte des Droits fondamentaux de l'Union européenne. Ils participent ainsi à la construction et au développement du modèle social européen.
4. Pour la CES, il est clair que de par leurs spécificités et de par les objectifs qu'ils poursuivent, ils ne peuvent être soumis aux lois du marché unique. La majorité d'entre eux, répondant à des objectifs sociaux et mettant en œuvre des mécanismes de solidarité, ne peut être classée dans la catégorie des activités économiques au sens du traité, c'est-à-dire soumis aux règles de la concurrence. Car, si tel était le cas, cela pourrait générer des conflits entre l'objectif social poursuivi par ces services et le droit de la concurrence et déboucher sur des développements, voire des dérives non souhaitables.
5. C'est pourquoi également la CES soutient que même dans le cas où certains services sociaux seraient des « activités économiques » au sens du traité, l'intérêt général et les objectifs sociaux doivent prévaloir sur les principes du marché. Le marché lui-même ne peut pas résoudre les problèmes sociaux ou répondre aux besoins sociaux généraux. Car ce sont très précisément ces défaillances constatées qui ont obligé les autorités publiques à réagir pour assurer à l'ensemble de la société la réalisation des droits fondamentaux et pour répondre à la demande sociale, en particulier de la part des personnes les plus vulnérables ou exclues. Ces SSIG répondent en fait à des besoins sociaux collectifs et individuels et pour lesquels il est nécessaire que les pouvoirs publics interviennent comme fournisseurs ou régulateurs du marché afin de garantir l'accès de tous les bénéficiaires aux prestations et assurer certaines normes de qualité, et tout cela, sur l'ensemble du territoire de l'Etat membre concerné. Car, comme déjà indiqué, les Etats membres sont responsables de la mise en œuvre des droits sociaux fondamentaux contenus dans la Charte. Il convient également de relever que ces services sont en grande partie fournis par des organismes de solidarité d'origine extrêmement variée, fonctionnant souvent sans but lucratif.
6. Pour la CES, il est donc indispensable que soient mises en oeuvre les dispositions adéquates pour permettre aux services sociaux de développer et de poursuivre leurs objectifs pour le bien de la société, notamment
- parce qu'ils répondent, principalement, à des besoins liés à la personne et à la société,
- mais aussi, par les services qu'ils développent ou les activités qu'ils mettent en œuvre, parce qu'ils créent du « lien social » et qu'ils participent ainsi à la cohésion sociale, y compris au niveau territorial,
- mais encore et surtout parce qu'ils font appel à des mécanismes de solidarité pour remplir une mission d'intérêt général.
Une première étape
7. La CES prend donc acte de cette initiative de la Commission qui marque incontestablement un nouveau pas vers la reconnaissance de ce type de services, ce qu'elle réclamait depuis longtemps. Cependant, la CES regrette que la Communication n'accorde pas beaucoup d'attention aux éléments d'intérêt général de ces services et à la manière de les garantir. Une Communication sur les SSIG devrait souligner les responsabilités des autorités publiques au niveau national et au niveau local. Elle devrait aussi indiquer comment les droits des citoyens et des travailleurs pourraient être protégés.
8. En effet, ces services s'inscrivent tout à la fois dans la Stratégie de Lisbonne, comme étant d'importants pourvoyeurs d'emplois mais certains de ces services peuvent également être vus comme des activités de nature économique. Cela signifie que, sans une législation communautaire plus protectrice et une véritable politique définie au niveau européen, les réglementations du marché intérieur, notamment en ce qui concerne la liberté du marché et les règles de libre concurrence, seraient appliquées au gré des contentieux.
9. Pour la CES, s'il semble y avoir un large consensus quant à la reconnaissance des spécificités des services sociaux et de santé, force est de constater qu'il y a des divergences de points de vue par rapport à leur prise en compte au niveau européen. Tant les propositions de régulation des aides d'Etats (paquet Altmark) que le Livre vert sur les partenariats publics-privés sont susceptibles d'influencer profondément aussi bien la définition que la mise en œuvre des services sociaux avec le risque que la nature économique de l'activité en constitue un facteur déterminant.
D'où la nécessité d'arriver, au niveau européen, à une reconnaissance de ce type de services et de sécuriser l'application des principes d'intérêt général à ces services dans les règlementations communautaires.
Une urgence : sécuriser les services sociaux d'intérêt général dans un cadre général
10. Mais si la CES considère qu'il est nécessaire de reconnaître la position spécifique des SSIG au sein de l'UE et accueille favorablement le fait que la CE ait reconnu cela dans sa communication, elle estime que la communication n'est toutefois pas suffisante. Car, dans sa communication, la Commission ne reconnaît pas l'importance des principes d'intérêt général et reste fixée à l'approche du marché. De ce fait, la CE ne fournit pas la réponse à la question de savoir comment les principes d'intérêt général se rapportent à la législation du marché et comment l'intérêt général peut être garanti. Cette réponse a été demandée, en particulier, par la CES.
11. Pour la CES, l'application du principe de la subsidiarité devrait être mieux prise en compte. La grande partie des SSIG ne possèdent pas de dimension européenne évidente et ne faussent pas les échanges entre les Etats membres. Ils sont fondés et organisés sur le principe de la solidarité et sont souvent fournis par des organisations sans but lucratif. Les autorités publiques devraient donc avoir plus de clarté et de sécurité, notamment dans le fait qu'ils ne sont pas soumis à l'application des règles de la concurrence.
Mais le recours à la subsidiarité n'est pas la seule réponse adéquate pour une part grandissante des SSIG et la CES refuse d'utiliser cet argument comme une excuse pour ne pas avancer au niveau de leur protection. Assurer, voire créer les conditions pour permettre la réalisation de la mission de service publique par certains services est une responsabilité qui est partagée entre les Etats membres et l'Union européenne. Il importe donc de trouver les régulations européennes appropriées afin que l'intérêt général et les valeurs telles que la solidarité et la cohésion sociale prennent le pas sur les lois du marché et contribuent ainsi à un haut niveau d'emploi et à une Europe sociale.
12. De même, si la CES salue la volonté exprimée de placer la procédure de suivi et de dialogue dans le cadre de la Méthode ouverte de coordination (MOC), tout en insistant sur la nécessité de consulter les partenaires sociaux à tous les niveaux pertinents, il est clair que le recours à la seule MOC est insuffisant car les Etats membres et les opérateurs de services sociaux d'intérêt général ont besoin de sécurité et de protection juridiques pour fournir des prestations de qualité. Par ailleurs, il semblerait paradoxal de vouloir mettre en place un nouveau processus de MOC, alors que le Conseil a décidé de rationaliser les trois processus déjà existants.
13. La CES, comme elle l'a maintes fois demandé, plaide en priorité pour une directive cadre sur les services d'intérêt général (SIG). Ensuite, une fois cette directive cadre adoptée et lorsque la consultation que la Commission a lancée à travers sa Communication sera terminée, on pourra considérer dans une prochaine étape l'opportunité d'adopter un ou plusieurs instruments communautaires permettant aux SSIG, tout à la fois, d'être sécurisés juridiquement et de pouvoir se développer et de poursuivre leurs finalités au service de la société et des citoyens européens. Et dans ce cadre pourraient être définies des normes communes aux services sociaux d'intérêt général, quant à leurs spécificités, leurs missions, leurs finalités et leur qualité.
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Des améliorations substantielles à apporter et montrer plus d'ambition.}}
14. La CES se félicite que, suite à ses interventions et à la mobilisation de ses membres, les services sociaux aient été, pour certains d'entre eux exclus de la directive service, ainsi que les soins de santé qui ne peuvent être conçus ou réduits à de simples biens de consommation courante, mais font appel à la définition et à la mise en œuvre de politiques publiques, y compris en matière de prévention, tant au niveau national qu'européen et qui sont fondés sur le principe de solidarité.
15. Mais la CES dénonce la distinction qui est introduite par la Commission entre les services sociaux et les services de santé. Certes les coûts et les engagements financiers qu'impliquent les uns et les autres ne sont pas du même ordre de grandeur. Mais pour la CES, cet argument financier ne saurait justifier cette distinction artificielle qui risque d'être source de nouvelles difficultés. La CES s'oppose donc à la mise en place de stratégies sectorielles séparées.
16. De même, la CES estime que l'exclusion de certains SSIG du champ d'application de la directive sur les services dans le marché intérieur a été faite de manière imparfaite et insuffisante, faute d'une réflexion préalable plus approfondie sur la nature et les objectifs poursuivis par ces services, ce qui représente un risque de danger potentiel.
17. Et en particulier, la CES estime que l'approche que la Commission adopte dans sa communication en ce qui concerne les SSIG est par trop restrictive. En effet, les services sociaux ne s'adressent pas qu'aux exclus, qu'aux pauvres, même si en ce qui les concerne, une attention particulière doit être portée au fait que ces services doivent leur être accessibles, de qualité et répondre à leurs besoins. Les services sociaux ont aussi pour vocation de répondre aux besoins et aux attentes de l'ensemble des individus. Pour la CES, l'expérience montre que vouloir privilégier des politiques « pour les pauvres » se traduit souvent par la mise en œuvre de « pauvres politiques ».
18. Enfin, la CES trouve qu'il y a quelque incohérence dans le discours de la Commission qui d'un côté reconnaît l'insécurité juridique qui persiste concernant ces services sociaux, et de l'autre ne propose pas de mesures pouvant remédier efficacement à cette situation et assurer des principes tels que la solidarité, l'accessibilité, la disponibilité et la qualité.
19. La CES invite donc la Commission à faire preuve de plus d'audace et d'ambition, c'est-à-dire aller au bout de sa démarche. C'est dans ce sens qu'elle entend poursuivre sa mobilisation. Il en va de la crédibilité de la volonté de construire une Europe qui ne soit pas qu'une Europe économique, mais aussi, une Europe sociale. C'est-à-dire une Europe qui attache du prix à la cohésion sociale et qui est fondée sur la solidarité, autrement dit qui est capable de répondre aux attentes des travailleurs européens et aux aspirations de ses citoyens.