Résolution relative à une directive européenne sur la sous-traitance et l'intermédiation de main-d'œuvre

 

La CES demande une directive européenne pour lutter de toute urgence contre les abus en matière de sous-traitance et d'intermédiation de main-d'œuvre.

Cette résolution présente l'appel lancé par le mouvement syndical européen en faveur d'une directive européenne visant à réglementer les intermédiaires de main-d'œuvre et à mettre en place un cadre juridique à l'échelle de l'UE afin de limiter la sous-traitance et de garantir la responsabilité solidaire tout au long de la chaîne de sous-traitance. Cette initiative législative est essentielle pour lutter contre les abus en matière de sous-traitance et d'intermédiation de main-d'œuvre. 

Au cours des dernières années, les syndicats aux niveaux sectoriel et national se sont mobilisés pour inscrire les pratiques abusives de sous-traitance et l'intermédiation de main-d'œuvre non réglementée à l'ordre du jour politique. Au niveau sectoriel européen, la mobilisation de la FITTHC, de l'EFFAT et de l'ETF a été très importante. Soutenant pleinement cette mobilisation et s'appuyant sur ses positions antérieures, la CES demande une directive européenne pour lutter de toute urgence contre les abus en matière de sous-traitance et d'intermédiation de main-d'œuvre.

Le recours croissant à des chaînes de sous-traitance longues et complexes et à l'intermédiation frauduleuse en matière d'emploi sont des facteurs clés de l'exploitation des travailleurs, qui portent atteinte aux droits des travailleurs, au travail décent, à la négociation collective et à la concurrence loyale sur le marché intérieur. Ces pratiques permettent aux entreprises de brouiller les responsabilités en matière de respect des droits des travailleurs et des syndicats, des normes d'emploi et des conventions collectives, ainsi que des règles de santé et de sécurité au travail. C'est particulièrement le cas dans les secteurs sensibles à la fraude tels que la construction, les transports, l'agriculture, l'agroalimentaire, le nettoyage, la pêche et la navigation, la restauration et l'hôtellerie. Cependant, cette tendance se développe également dans d'autres secteurs, notamment dans l'industrie manufacturière, où les secteurs du textile et de la construction navale sont les plus touchés. 

Ces dernières années, de nombreux décès et blessures dus à des conditions de travail dangereuses ou précaires et des cas d'exploitation par le travail ont mis en évidence le coût humain et social de ces pratiques. Elles auraient dû être évitées. Souvent, ces situations sont également liées à la criminalité liée au travail, notamment les pratiques des gangmasters, la traite des êtres humains et le travail forcé. Il est évident que, dans de nombreux cas, des activités et des organisations criminelles ont infiltré nos marchés du travail et que les travailleurs migrants ont besoin d'une protection meilleure et plus forte, tant au niveau national qu'européen.

Les règles européennes existantes en matière de détachement, de travail intérimaire, de mobilité de la main-d'œuvre, de migration, de santé et de sécurité au travail et de marchés publics ne permettent pas de lutter efficacement contre l'émergence de modèles commerciaux dans lesquels les entreprises font appel à des chaînes d'intermédiaires et de sous-traitants afin de réduire leurs coûts et d'échapper à leurs responsabilités. Cette absence de législation européenne spécifique soulève d'importants défis qui doivent être relevés. Les marchés du travail locaux et nationaux ont leurs propres caractéristiques, qui entraînent souvent des défis différents qui doivent également être résolus par des lois et des conventions collectives. Il est important que la législation européenne respecte pleinement la possibilité pour les autorités nationales et locales et les partenaires sociaux de maintenir ou d'introduire des mesures de protection plus strictes.   

Lorsque les travailleurs se retrouvent pris au piège dans des chaînes complexes, la responsabilité devient floue et l'application de la loi presque impossible. Les pratiques frauduleuses telles que les sociétés boîtes aux lettres, les détachements fictifs, le travail intérimaire fictif, le faux travail indépendant et les systèmes de gangmasters sont souvent liées à la sous-traitance abusive et à l'intermédiation de main-d'œuvre, privant les travailleurs de leurs droits tout en permettant au contractant principal d'échapper à ses responsabilités. Les travailleurs sont confrontés à des conditions dangereuses, au vol de salaire, au non-paiement des cotisations sociales et à la répression syndicale. L'exploitation s'étend au-delà des frontières : les travailleurs sont souvent recrutés dans un pays, sous-traités dans un deuxième et exploités dans un troisième. L'absence de mesures coercitives efficaces (inspections s et sanctions) permet à ce système de prospérer et de se développer au détriment des travailleurs et des employeurs responsables.

L'absence d'un cadre juridique général de l'UE sur la sous-traitance et l'intermédiation de main-d'œuvre, tant pour les situations transfrontalières que nationales, expose les travailleurs locaux, mobiles et migrants au dumping social, à des arrangements artificiels et à une responsabilité commerciale opaque. Une directive complète et ambitieuse est nécessaire pour promouvoir les relations de travail directes, garantir l'égalité de traitement dans le plein respect des droits des travailleurs et des normes d'emploi, une application efficace, la transparence et la responsabilité au-delà des frontières et des secteurs. En outre, comme les structures de sous-traitance diffèrent d'un secteur à l'autre, tout cadre législatif doit tenir compte de ces spécificités sectorielles tout en garantissant une protection solide contre l'exploitation, quel que soit le type de contrats commerciaux ou juridiques entre les différentes entités commerciales.

Revendications de la CES 

 

La CES demande une directive sur la sous-traitance et l'intermédiation de main-d'œuvre afin de traiter les questions clés suivantes par le biais de normes minimales, tout en préservant pleinement les régimes nationaux de responsabilité, les modèles nationaux du marché du travail et l'autonomie des partenaires sociaux :

  • Base juridique. Il est essentiel qu'une telle directive soit fondée sur le chapitre des traités consacré à la politique sociale : sa base juridique sera l'article 153 du TFUE.
  • Responsabilité de l'ensemble de la chaîne. Le contractant principal/client et ses sous-traitants doivent être solidairement responsables des violations des droits sociaux et du travail tout au long de la chaîne contractuelle, quel que soit le type de contrat commercial ou juridique régissant la relation. Les risques ne doivent pas être transférés aux travailleurs, qui devraient alors intenter des actions en justice à chaque maillon de la chaîne. La responsabilité doit être globale et couvrir au moins les salaires, les impôts, les cotisations sociales, les violations des normes de santé et de sécurité au travail, le temps de travail et le respect du droit du travail et des conventions collectives. Des mécanismes de plainte sûrs, l'accès à la justice, des recours efficaces et des sanctions dissuasives devraient aider les travailleurs et les autorités chargées de faire respecter la loi à demander des comptes aux entreprises.
  • Longueur maximale de la chaîne et emploi direct pour les activités principales. La sous-traitance doit être réglementée de manière efficace, tandis que la relation de travail directe doit rester la norme. Les chaînes doivent être limitées à un ou, dans des cas exceptionnels et justifiés, à deux sous-niveaux au maximum, tandis que la sous-traitance financière et la sous-traitance de main-d'œuvre seule doivent être totalement interdites. La sous-traitance des activités principales doit être interdite, et seul l'emploi direct doit être autorisé pour ces activités. La sous-traitance ne peut concerner l'exécution prédominante de travaux et de services. La directive doit garantir le recours à des sous-traitants qualifiés, introduire des contrôles stricts contre l'infiltration criminelle et l'exploitation, et garantir le respect des exigences en matière de formation et des normes de sécurité.
  • Intermédiation réglementée. Afin de prévenir les intermédiaires frauduleux, les conditions abusives, les pratiques de gangmasters et d'améliorer la transparence et les contrôles, les intermédiaires de main-d'œuvre doivent être réglementés, enregistrés dans l'UE et soumis à des normes de qualité et à des obligations claires, y compris le droit du travail et les conventions collectives applicables. Les intermédiaires ne devraient imposer aucun frais aux travailleurs pour le recrutement, le voyage, l'hébergement ou la formation. Dans le secteur de la construction, l'intermédiation de main-d'œuvre et le détachement par des agences devraient être interdits.
  • Égalité de traitement. Les entreprises sous-traitantes doivent être soumises aux mêmes règles que le contractant principal/client, y compris le respect des conventions collectives applicables, des normes de santé et de sécurité, des obligations en matière de sécurité sociale et fiscale, des qualifications professionnelles et de la conformité juridique. Tous les travailleurs effectuant le même travail sur le même lieu de travail doivent bénéficier d'une rémunération, de conditions et d'une protection égales, indépendamment de leur forme contractuelle d'emploi et de leur statut d'immigration. Le respect des conventions collectives doit être garanti tout au long de la chaîne de sous-traitance et tout contournement par le biais d'accords conclus par des syndicats jaunes ou des accords moins favorables doivent être empêchés.
  • Accès des syndicats. La sous-traitance ne saurait servir de prétexte pour éviter le dialogue social et la négociation collective. Les syndicats et les représentants des travailleurs doivent avoir accès au(x) lieu(x) de travail, aux informations pertinentes, aux droits et aux moyens nécessaires pour défendre efficacement les intérêts de tous les travailleurs de la chaîne de sous-traitance.
  • Logement décent. Lorsque le logement est fourni par l'employeur ou des intermédiaires, il doit être organisé indépendamment du contrat de travail afin d'éviter toute dépendance supplémentaire vis-à-vis de l'employeur. De même, les États membres doivent veiller à ce que la résiliation du contrat de travail n'entraîne pas automatiquement la résiliation du contrat de logement.  De même, les titulaires d'un permis de travail non-EEE ne devraient pas voir leur permis de travail automatiquement révoqué en cas de résiliation de leur contrat de travail. Le logement doit être décent et répondre aux normes du pays d'accueil, avec des coûts limités, équitables et transparents. Conformément à la directive sur le détachement des travailleurs, les frais de voyage, de pension et de logement doivent être pris en charge par l'employeur et remboursés conformément à la législation nationale ou aux conventions collectives, afin d'éviter toute dépendance due à des conditions de logement abusives.
  • Définitions claires. Une définition substantielle du terme « employeur » devrait être incluse, en particulier dans un contexte d'utilisation croissante des technologies de surveillance numérique et de gestion algorithmique. La CES réitère sa demande d'une directive sur l'IA sur le lieu de travail.
  • Transparence et traçabilité. Les entrepreneurs principaux devraient tenir des registres de tous les sous-traitants, intermédiaires et travailleurs, accessibles aux inspections du travail, aux syndicats et aux comités d'entreprise, afin d'aider à identifier l'employeur réel et à faire respecter les droits des travailleurs. L'utilisation de cartes d'identité sociale et de cartes de travail devrait être mise en œuvre dans les secteurs à haut risque afin d'améliorer la transparence et les contrôles. En outre, un cadre européen devrait être établi pour des cartes d'identité sociale interopérables dans les secteurs sensibles à la fraude, reliées aux registres numériques des entreprises et au futur numéro européen de sécurité sociale. Ces outils doivent garantir une surveillance en temps réel des chaînes de sous-traitance et des droits des travailleurs.
  • Surveillance et application effective.   La directive devrait accroître la fréquence et l'efficacité des inspections du travail. Les inspections nationales du travail et l'Autorité européenne du travail doivent être renforcées par des ressources humaines, matérielles et financières supplémentaires substantielles afin d'enquêter sur les affaires transfrontalières, d'imposer des sanctions et de recouvrer les salaires et les cotisations sociales impayés, dans le respect des rôles et prérogatives des syndicats nationaux. La coopération entre les autorités nationales devrait être renforcée, avec des bases de données interopérables, des capacités d'inspection accrues et des objectifs plus ambitieux. De même, les entrepreneurs devraient exercer une diligence raisonnable à l'égard de leurs sous-traitants et intermédiaires, sans être exemptés de la responsabilité solidaire. Les entreprises abusives et non conformes devraient être inscrites dans un registre européen dédié, qui serait notamment utilisé dans le cadre des marchés publics. La directive devrait prévoir explicitement des mécanismes de coopération renforcée avec les pays tiers étroitement liés au marché intérieur, notamment en matière de mécanismes de contrôle et par la participation des partenaires sociaux. Cela comprend l'échange d'informations, la reconnaissance mutuelle des inspections et des sanctions, ainsi que des mesures d'exécution coordonnées dans les chaînes de sous-traitance transfrontalières.
  • Des marchés publics au service du progrès social. La CES réitère sa demande de révision des directives sur les marchés publics afin de promouvoir la négociation collective et les emplois de qualité. La révision des directives européennes sur les marchés publics devrait garantir que les fonds publics soient attribués à des entreprises qui respectent les droits des travailleurs et des syndicats, qui négocient avec les syndicats et dont les travailleurs sont couverts par des conventions collectives tout au long de la chaîne de sous-traitance. Les opérateurs économiques qui remportent des marchés publics devraient fournir des emplois de qualité et des emplois directs. La révision des règles relatives aux marchés publics devrait promouvoir la limitation et la réglementation de la sous-traitance (notamment en garantissant l'égalité de traitement, en introduisant la responsabilité solidaire et en limitant la longueur de la chaîne à un ou, dans des cas exceptionnels et justifiés, à deux sous-niveaux au maximum). Afin de garantir la transparence, toutes les entreprises participant à des marchés publics, ainsi que leurs sous-traitants, devraient être tenues d'indiquer le nom du « bénéficiaire effectif ».
  • Mettre en place des cadres politiques cohérents. Les politiques et règles sectorielles devraient viser à dissuader les modèles commerciaux qui encouragent les pratiques abusives de sous-traitance. 

Vous trouverez en annexe les propositions spécifiques de la FETBB, de l'EFFAT et de l'ETF pour une directive qui tient compte des réalités sectorielles.

Nos actions 

La CES poursuivra et renforcera sa mobilisation pour demander l'inclusion d'une directive sur la sous-traitance et l'intermédiation de main-d'œuvre dans la feuille de route/loi sur les emplois de qualité, en organisant des événements, des actions de communication et des initiatives de plaidoyer (notamment en vue du rapport du Parlement européen). 

La CES appelle ses membres à soutenir la mobilisation et les actions en faveur d'une directive européenne, notamment en mettant en avant des exemples et des cas nationaux ou sectoriels. 

La CES soutiendra les initiatives et les campagnes syndicales visant à limiter et à réglementer la sous-traitance et l'intermédiation de main-d'œuvre aux niveaux sectoriel et national, à la demande de ses affiliés.