Résolution de la CES sur les pénuries du marché du travail : Un appel à des emplois de qualité pour la cohésion et l'inclusion

Résolution de la CES sur les pénuries du marché du travail : Un appel à des emplois de qualité pour la cohésion et l'inclusion 

Adoptée à la réunion du Comité exécutif des 04 et 05 mars 2025 

La pénurie de main-d'œuvre, bien qu'elle ne soit pas encore généralisée dans tous les pays membres, est un sujet important dans les discussions politiques européennes. La CES appelle à une réponse globale et demande au nouveau Parlement européen et à la nouvelle Commission d'assurer une Europe équitable qui garantisse des emplois sûrs, des salaires décents, des services publics de qualité, l'égalité des sexes et les droits des travailleurs, y compris la sécurité et la santé au travail. Plutôt que des politiques axées sur les entreprises et visant à attirer les "talents extérieurs", l'Europe a besoin d'investissements ciblés sur le développement des compétences, l'amélioration des conditions de travail et les investissements en faveur de la cohésion sociale. La négociation collective et le dialogue social sont essentiels pour atteindre ces objectifs, et c'est aux employeurs qu'il incombe de rendre les lieux de travail plus attrayants. La CES est préoccupée par le fait que l'accent mis actuellement sur la compétitivité par le biais de la réduction des coûts et de la déréglementation dans l'agenda de l'UE penche fortement vers les intérêts des entreprises, ouvrant la voie à des politiques d'austérité qui ont un impact injuste sur les travailleurs. Avec plus de 13 millions de chômeurs et des pénuries de main-d'œuvre dans des secteurs clés - en particulier ceux qui sont confrontés aux transitions verte et numérique, ainsi que les secteurs traditionnels où les conditions sont médiocres, comme le transport, la construction, la santé et les soins - l'UE doit donner la priorité à l'amélioration de la qualité de l'emploi pour répondre à l'évolution de la demande et préserver les conditions de travail.

La position présentée par les employeurs concernant les pénuries de main-d'œuvre se concentre souvent sur les demandes de flexibilité accrue sur le marché du travail, de mobilité et de traitement des lacunes en matière de compétences. La CES regrette de constater que ce discours a influencé la vision de la nouvelle Commission européenne. Si l'inadéquation des compétences est un facteur important, elle n'est pas le seul moteur de la tension sur le marché du travail. 

La CES demande spécifiquement ce qui suit :

Améliorer les conditions de travail et investir dans des emplois de qualité. Des emplois sûrs et sécurisés, assortis de conditions et de rémunérations décentes, sont essentiels pour renforcer l'attractivité des employeurs, des professions et des secteurs. Les emplois précaires, sous-évalués, incertains et instables entraînent un nivellement par le bas et contribuent aux inégalités entre les hommes et les femmes. Les PME ne devraient pas être exemptées du respect des obligations en matière de travail.

Renforcer la négociation collective pour améliorer les conditions de travail. La négociation collective joue un rôle essentiel pour garantir des salaires équitables, la mise en œuvre effective des droits et protections des travailleurs, la stabilité de l'emploi et des lieux de travail sûrs et sains. Elles doivent être renforcées par la mise en œuvre effective de la directive sur le salaire minimum et par la pleine utilisation des plans d'action nationaux pour atteindre progressivement un taux de couverture des négociations collectives de 80 %, afin de mieux protéger les travailleurs. Le pilier européen des droits sociaux devrait être pleinement mis en œuvre par le biais de nouvelles mesures législatives de l'UE qui incluent des normes minimales contraignantes de protection des travailleurs qui peuvent être améliorées au niveau national, sans aucune possibilité de déviation vers le bas. Pour favoriser des marchés du travail inclusifs, l'accès à la protection sociale doit être étendu à tous les travailleurs, tandis que le travail non déclaré doit être systématiquement transformé en emploi déclaré et formel. De même, par l'adoption d'une directive européenne sur les marchés publics, il faut s'assurer que les fonds publics sont alloués à des entreprises qui respectent les conditions sociales, notamment en ce qui concerne la législation du travail, les conventions collectives et le respect de la représentativité des syndicats.

Droit à la formation. La formation doit être accessible à tous les travailleurs, pendant le temps de travail, et les travailleurs ne devraient pas avoir à la payer. Il convient de soutenir le renforcement des politiques de développement des compétences, d'apprentissage tout au long de la vie et de promotion de l'éducation et de la formation à tous les niveaux . Alors qu'un tel droit établirait une base de protection, l'offre de formation peut également être améliorée par le biais de la négociation collective. Si l'instauration d'un droit à la formation est essentielle, les stratégies en matière de compétences doivent être liées à des stratégies de création et de maintien d'emplois de qualité, ainsi qu'à des programmes de transition d'un emploi à l'autre permettant aux travailleurs de passer d'un emploi de qualité à l'autre dans le cadre de la double transition. Les initiatives axées sur la formation, la requalification ou l'amélioration des compétences ne produiront aucun effet si les travailleurs résident dans des zones économiquement stagnantes sans perspectives d'emploi alternatives viables. L'évolution démographique exige des stratégies en matière de compétences qui aident les travailleurs âgés à continuer à participer au marché du travail et qui offrent aux jeunes une formation professionnelle de qualité. Les travailleurs jeunes et âgés sont souvent confrontés à des pratiques discriminatoires dans l'accès à l'emploi et aux possibilités de formation. La discrimination fondée sur l'âge doit être combattue, les travailleurs ne doivent pas être désavantagés ou se voir refuser des possibilités de formation sur la base de pratiques discriminatoires ou de systèmes de sélection biaisés.

Garantir la santé et la sécurité au travail par une approche préventive fait partie intégrante de la qualité de l'emploi. Il est essentiel d'adopter une législation pour protéger tous les travailleurs - y compris les travailleurs domestiques - des risques persistants, tels que les risques psychosociaux et le harcèlement, et de l'exposition à des substances dangereuses, ainsi que des risques émergents, tels que les températures extrêmes et les rayons UV sur le lieu de travail. 

Il est primordial de renforcer l'application des directives sur le travail et de soutenir les autorités chargées de l'application de la législation afin qu'elles disposent de l'autorité et de la capacité nécessaires pour effectuer des inspections du travail et appliquer des sanctions juridiquement contraignantes.

Les transitions du marché du travail doivent être conçues de manière à ce qu'aucun travailleur ni aucune région ne soit laissé pour compte. En l'absence d'investissements et de politiques visant à améliorer l'accès à des emplois de qualité, à la formation, aux programmes de transition entre les emplois et aux services essentiels, en particulier dans les régions rurales, périphériques et en transition industrielle, il existe un risque évident d'accroissement des inégalités au sein des communautés et entre les régions, alors que des efforts considérables sont nécessaires pour gérer avec succès les transitions numérique et verte.

Il est essentiel de tenir compte de la dimension de genre pour lutter contre les inégalités sur le marché du travail et accroître la participation des femmes au marché du travail, car les femmes sont plus exposées aux conditions précaires, aux bas salaires et au travail à temps partiel involontaire. Favoriser les politiques d'emploi et les négociations collectives liées au genre, garantir l'égalité d'accès à des emplois de qualité et la transparence des rémunérations, encourager la participation d'un plus grand nombre de femmes dans les professions STIM, soutenir les mesures d'équilibre entre vie professionnelle et vie privée et protéger les femmes contre la violence au travail sont des étapes cruciales pour parvenir à des marchés du travail équitables et inclusifs. Pour combler l'écart de rémunération entre les hommes et les femmes, il convient d'utiliser des outils d'évaluation des emplois non sexistes - de préférence convenus par les partenaires sociaux dans le cadre de négociations collectives - qui tiennent compte de tous les aspects et de toutes les compétences requises. Cette approche permet une comparaison équitable des tâches effectuées et des salaires versés. La mise en œuvre de tels outils pourrait conduire à des augmentations de salaire significatives dans les secteurs à prédominance féminine.

L'investissement et l'accès aux services publics et à la protection sociale. L'attractivité régionale dépend également de conditions de vie décentes, y compris l'accès à un logement abordable, à l'éducation, à la garde d'enfants, aux transports publics et à des services publics de haute qualité. Le financement européen des emplois créés par les pouvoirs publics, assorti de conditions sociales strictes, devrait être développé, conformément à la demande de la CES en faveur d'une garantie européenne de l'emploi

La CES s'oppose fermement à la proposition de la Commission européenne d'étendre la participation des travailleurs âgés au marché du travail sans tenir compte de leur droit à accéder à des pensions de retraite de qualité. Les récents développements, notamment en France et en Belgique, démontrent le profond malaise social et les protestations généralisées menées par les syndicats, qui découlent des tentatives de relever l'âge légal de la retraite et de réduire les prestations de retraite sur le site . Ces mesures menacent les droits des travailleurs et la stabilité économique des États membres de l'UE. Ces mesures menacent les droits des travailleurs et la stabilité économique des États membres de l'UE. Toute prolongation de l'activité au-delà de l'âge de la retraite doit rester en tout état de cause exclusivement volontaire, ne doit procurer des avantages qu'aux travailleurs ou aux retraités en établissant un lien avec de bonnes conditions de travail et un bon environnement de travail.

Les services publics de l'emploi devraient être renforcés, car ils jouent un rôle crucial dans la mise en œuvre de politiques actives du marché du travail et dans l'intégration des groupes les plus vulnérables de la société sur le marché du travail. Pour relever ces défis, l'Union européenne et les États membres devraient mettre en œuvre des politiques actives du marché du travail efficaces et d'autres mesures spécifiques avec la pleine participation des partenaires sociaux. Les travailleurs handicapés devraient se voir accorder un droit effectif à des aménagements raisonnables, parmi d'autres mesures clés visant à favoriser leur accès à des emplois de qualité. La dimension "jeunesse" du marché du travail doit également être prise en compte pour garantir l'accès à des emplois et à des formations de qualité. La CES plaide en faveur d'une garantie pour la jeunesse renforcée, assortie de critères de qualité, et d'une directive imposant des stages rémunérés.

La CES défend la libre circulation comme un droit fondamental pour les travailleurs. La mobilité équitable et librement choisie des travailleurs offre aux individus des opportunités d'emploi et peut favoriser l'inclusion sociale et la convergence vers le haut. Toutefois, le potentiel de la mobilité de la main-d'œuvre est limité pour remédier aux pénuries de main-d'œuvre et de compétences à long terme, étant donné que la pénurie de professions spécifiques est souvent la même dans tous les États membres. La main-d'œuvre ne doit pas être traitée comme une marchandise que les forces du marché peuvent simplement ajuster.

La mobilité de la main-d'œuvre ne peut pas compenser de mauvaises conditions de travail, une formation inadéquate ou une faible rémunération, que ce soit dans les pays d'origine ou de destination. Les politiques de l'UE en matière de mobilité de la main-d'œuvre doivent contribuer à l'équité, en aidant les travailleurs non seulement à jouir de leur liberté de circulation, mais aussi à faire respecter leurs droits et à se réinsérer dans les marchés du travail locaux en cas de mobilité de retour. Elles ne doivent pas servir de solution miracle pour les employeurs ou d'échappatoire pour les régions qui s'efforcent d'offrir des perspectives et des opportunités aux travailleurs et à leurs familles. L'UE devrait soutenir les gouvernements locaux et régionaux et s'abstenir de prendre des mesures d'austérité. Le rapport d'Enrico Letta intitulé "Bien plus qu'un marché" a également mis l'accent sur le "droit de rester", soulignant la nécessité d'investir dans des emplois et des services de qualité dans toutes les régions de l'UE.

Dans le même ordre d'idées, l'égalité de traitement est essentielle pour garantir des marchés du travail équitables et ouverts à tous. Les emplois de mauvaise qualité ne peuvent être occupés par des travailleurs étrangers ou non déclarés dans le seul but de pallier les pénuries de main-d'œuvre et de réduire les coûts salariaux. De telles pratiques constituent une violation des droits - conduisant à des crimes de travail et à une grave exploitation des travailleurs - et un dumping social, perpétuant ainsi les inégalités et privant les sociétés et les économies d'un progrès inclusif. En outre, les pénuries ne peuvent justifier une réduction des prestations de sécurité sociale ou d'aide sociale en deçà des normes nationales et sectorielles.

L'Autorité européenne du travail devrait renforcer son mandat afin d'améliorer l'application des règles de mobilité de la main-d'œuvre et d'augmenter les inspections transfrontalières. La CES appelle également les institutions européennes à adopter un cadre juridique général pour limiter la sous-traitance et garantir la responsabilité conjointe et solidaire tout au long de la chaîne.