Résolution de la CES concernant la procédure des déséquilibres sociaux dans l’UE
Approuvée lors de la réunion virtuelle du Comité exécutif des 16 et 17 mars 2022
Contexte
Dans un document officieux publié avant le sommet social de Porto en mai 2021, les gouvernements belge et espagnol ont proposé un instrument européen relatif aux déséquilibres sociaux, une sorte de mécanisme d’alerte sociale déclenchant un suivi et une discussion plus approfondis au niveau des comités et au niveau ministériel afin de promulguer des politiques à même de contribuer au progrès social ou, autrement dit, d’améliorer les conditions de vie et de travail de tous les Européens. Cette proposition a ensuite été expliquée par les ministres belge et espagnol durant le Conseil EPSCO du 15 octobre 2021 et a reçu le soutien de ministres de plusieurs États membres.
La Commission européenne est prête à soutenir la procédure comme exposée dans la proposition de rapport conjoint 2021 sur l'emploi par laquelle elle invite les comités consultatifs du Conseil EPSCO à réfléchir à une proposition de procédure relative aux déséquilibres sociaux (PDS) sur base de l’article 148 du TFUE dans le contexte du Semestre européen.
Enfin, la Présidence française du Conseil a chargé le COEM et le CPS d’étudier les aspects techniques de la procédure étant donné que la pandémie a amplifié les divergences sociales et économiques et qu’il est nécessaire d’inscrire celles-ci dans le cadre du Semestre européen.
La Confédération européenne des syndicats (CES) suit de très près le débat sur la proposition de PDS et encourage tous les acteurs concernés à faire preuve d’ambition en la matière et à s’assurer d’une forte implication des partenaires sociaux.
Une nouvelle gouvernance socio-économique européenne
La possibilité de mettre en place des mécanismes qui s’attaquent aux déséquilibres sociaux est en effet une exigence de longue date de la CES et est dès lors bienvenue.
Compte tenu du Socle européen des droits sociaux (SEDS) et son tableau de bord social, du plan d’action de mise en œuvre du SEDS (y compris le tableau de bord social actualisé) et les engagements pris lors du sommet social de Porto et eu égard à l’exigence continue d’une convergence sociale à la hausse, la CES estime que le moment est venu d’introduire un tel mécanisme dans un Semestre renouvelé. Ce mécanisme permettrait d’identifier, de prévenir et de s’attaquer aux déséquilibres sociaux qui risqueraient d’affecter négativement les conditions de travail et de vie d’un pays et donc d’entrainer des retombées sur la zone euro et également sur l’UE dans son l’ensemble.
En outre, la CES est convaincue que le SEDS est l’un des principaux cadres d’action de l’UE qui jouera un rôle primordial dans la phase de reprise. La proposition de PDS est un pas dans la bonne direction en ce qu’elle conférerait au SEDS, et à son tableau de bord social, un rôle plus important dans la gouvernance socio-économique de l’UE. Enfin, elle prolongerait également le processus de « socialisation » du Semestre européen après l’introduction de l’orientation sociale (2013, la proclamation du SEDS (2017) et l'adoption du plan d'action du SEDS (2021).
Une PDS renforcerait certainement la dimension sociale de l’UE si elle rééquilibre le rôle des acteurs institutionnels européens dans un processus de Semestre renouvelé ; si elle met en lumière des tendances sociales potentiellement inquiétantes appelant des discussions plus approfondies sur les causes et les solutions possibles et donne davantage d’importance aux recommandations spécifiques par pays (RSP) relatives au SEDS dans le but de poursuivre un agenda social progressiste tout en veillant à une répartition plus efficace des investissements financés à travers la FRR ou des investissements nationaux.
Selon la CES, la PDS doit être un instrument supplémentaire pour arriver à une convergence sociale à la hausse au sein de l’UE. La PDS ne devrait en aucun cas accroître la pression sur les États membres pour qu’ils mettent en œuvre des réformes structurelles préjudiciables à la performance sociale ou au bien-être des États membres. D’une manière générale, développer la dimension sociale du Semestre européen implique également de renforcer les normes minimales de l’UE afin de parvenir à une réelle convergence coordonnant les politiques économiques et sociales de l’UE. Il est urgent de définir des normes européennes minimales car en réalité, tous les États membres ne semblent pas être en mesure d’éliminer les déséquilibres excessifs ou de prévenir le dumping social.
Contribution de la CES à la procédure relative aux déséquilibres sociaux (PDS)
La CES invite les comités consultatifs de l’EPSCO (COEM et CPS), la Commission et le Conseil européen à concevoir une PDS qui donne davantage de pertinence aux questions sociales, au dialogue social et à la création d’emplois et qui approfondisse aussi l’analyse des causes des inégalités, de la pauvreté et de la vulnérabilité des travailleurs. C’est la raison pour laquelle nous pensons qu’intégrer la PDS dans le Semestre européen contribuerait à stimuler une convergence à la hausse des conditions de travail.
La CES propose d’inclure les éléments suivants dans la PDS :
Identifier les déséquilibres sociaux
Les déséquilibres sociaux pourraient être définis comme étant des situations – identifiées à travers le tableau de bord social – qui, parce qu’elles s’écartent des principes et droits fixés dans le SEDS et ses actes d’exécution, menacent la cohésion sociale au sein d’un État membre ou au niveau européen.
Une « procédure de déséquilibres sociaux » devrait être mise en place pour rééquilibrer la dimension économique et sociale de la gouvernance économique. L’identification de ces déséquilibres devrait mener à :
- des recommandations spécifiques par pays pour les déséquilibres nationaux ;
- une révision des lignes directrices pour l’emploi et des recommandations pour la zone euro afin de s’attaquer aux problèmes structurels (c.-à-d. les politiques de l’emploi) et aux déséquilibres sociaux au niveau de l’UE.
Cela peut se faire en définissant des critères sociaux à moyen terme fixés au niveau européen en accord avec les partenaires sociaux et inclus dans les plans nationaux.
Pour identifier et mesurer les déséquilibres sociaux, le cadre le plus probable et réaliste est le Socle européen des droits sociaux et son tableau de bord social car ceux-ci ont été adoptés et proclamés par tous les États membres lors des deux derniers sommets sociaux de l’UE. La procédure pourrait démarrer notamment en utilisant la série actualisée des indicateurs clés du tableau de bord du SEDS qui évalue les performances des États membres.
Le risque de déséquilibres sociaux de chaque pays pourrait être déterminé sur base :
-
- du nombre de performances inquiétantes ou en baisse constatées sur un an (c.-à-d. des situations critiques ou à surveiller) et ;
- de l’évolution de ces performances d’année en année. Ceci permettrait d’inclure dans la PDS les pays présentant de bonnes ou moyennes performances mais avec des tendances baissières dans le but de parvenir à une convergence sociale à la hausse.
Outre les déséquilibres affectant des pays spécifiques, la PDS pourrait également identifier, et potentiellement répondre, aux déséquilibres au niveau européen et/ou de la zone euro.
S’attaquer aux déséquilibres sociaux : le volet de soutien
Lorsque des déséquilibres sociaux sont constatés dans un État membre, les institutions de l’UE devraient tout d’abord exiger l’identification et la déclaration des actions visant à corriger ces déséquilibres dans une section spécifique du programme national de réforme. En cas de déséquilibres sociaux « excessifs », une procédure plus stricte pourrait être envisagée qui activerait un soutien supplémentaire de la part de l’UE.
Puisqu’il est peu probable que le « volet correctif » de la procédure concernant les déséquilibres macroéconomiques mène à des sanctions à l’égard des pays dont les réponses aux déséquilibres sont faibles, la PDS devrait inclure des outils supplémentaires basés sur des mesures incitatives visant à soutenir les actions des États membres destinées à s’attaquer aux déséquilibres sociaux excessifs. Un « volet de soutien » demandera de l’UE qu’elle intervienne et aide un État membre à corriger les déséquilibres excessifs qui ont été identifiés. Cette procédure serait soumise à un processus de surveillance multilatérale, donc basé sur une coopération avec les pays, et transparent (débats de haut niveau, discussions et analyses approfondies impliquant les partenaires sociaux et les parlements nationaux concernés, etc. permettant d’agir sur le processus).
Le soutien renforcé de l’UE pourrait être :
- un soutien financier ciblé provenant notamment des fonds européens structurels et d’investissement (FESI). Un taux de financement majoré (ou un taux de co-financement limité) pourrait par exemple être accordé à certains pays pour corriger un déséquilibre excessif. En outre, toute aide financière de ce type accordée par les fonds européens doit être liée à des programmes axés sur les résultats afin d'atteindre progressivement les objectifs du plan d'action du SEDS, conformément à une feuille de route convenue avec les partenaires sociaux ;
- une assistance technique pour définir le contenu des réformes et quantifier les investissements nécessaires pour s’attaquer aux déséquilibres, par exemple en recourant à l’instrument d’appui technique (IAT) mais uniquement si ce soutien est fourni par l’IAT lui-même et non en l’externalisant à une société de consultance ;
- une règle pour les investissements publics selon laquelle ces investissements devraient être financés par la dette ou, en d’autres mots, exclus des règles relatives à l’équilibre budgétaire.
Rôle du dialogue social et implication des partenaires sociaux dans la PDS
Il est impératif que les dialogues politiques de haut niveau entre les institutions de l’UE et les États membres concernant les déséquilibres sociaux impliquent les partenaires sociaux afin d’accroître l’appropriation des résultats de la PDS et la mise en œuvre des initiatives et des réformes proposées pour s’attaquer aux déséquilibres. De plus, cela augmentera la transparence du processus et le rendra plus démocratique.
Comme la PDS serait basée sur le Socle européen des droits sociaux et le tableau de bord social, abordant donc les conditions de vie et de travail des Européens, l’implication des partenaires sociaux dans la procédure est essentielle. La PDS devrait inclure des mesures encourageant les partenaires sociaux à participer à des dialogues visant à résoudre les déséquilibres sociaux.
La CES exige dès lors que les partenaires sociaux se voient confier un rôle charnière dans la PDS, que ce soit pour détecter et identifier les défis sociaux et/ou prévenir et corriger les déséquilibres sociaux.
Sur base des articles 150, 151 (2), 152 (1) TFUE et du principe 8 du SEDS, les partenaires sociaux nationaux devraient prendre part au dialogue destiné à identifier les options politiques et les possibilités d’action pour éliminer ces déséquilibres lorsque la PDS met pareille situation en lumière. Si un accord est conclu au niveau national parmi les partenaires sociaux nationaux représentatifs, l’accord est porté à l’attention de la Commission européenne et des comités consultatifs de l’EPSCO (en particulier le COEM) par les partenaires sociaux européens.
Dès lors, après avoir entendu le COEM, le CPS et les partenaires sociaux européens, la Commission soumettra l’accord au Conseil européen sous forme d’une proposition de recommandations spécifiques par pays.
POUR INFORMATION
Marche à suivre
Fin janvier 2022, la Présidence du Conseil de l’UE a donné plein mandat aux comités consultatifs de l’EPSCO, COEM et CPS, pour démarrer les travaux sur les aspects opérationnels et formels de la procédure relative aux déséquilibres sociaux.
L’objectif est de rendre la PDS pleinement opérationnelle pour le début du prochain cycle du Semestre européen (novembre 2022). Cela implique l’établissement du mécanisme via une conclusion du Conseil en juin au plus tard. Cette étape peut également contribuer à intégrer la PDS dans le cadre de la future gouvernance économique de l’UE.
La CES est prête à collaborer avec la Commission européenne, l’EPSCO, le COEM et le CPS pour développer une procédure qui soit efficace, viable et qui utilise tout le potentiel des partenaires sociaux au niveaux européen et national.
Enfin, il est également essentiel d’introduire la PDS pour continuer à surveiller l’asymétrie entre les politiques sociales et économiques au niveau européen qui a, jusqu’à présent, été atténuée mais pas résolue. En effet, la gouvernance sociale de l’UE semble toujours être beaucoup plus faible non seulement par rapport à la gouvernance macroéconomique et budgétaire (procédures fondées sur le traité et donc contraignantes) mais aussi par rapport à la gouvernance environnementale (strictement liée à la transition verte) alors que cette dernière est de plus en plus basée sur des objectifs contraignants, législatifs et en termes de financement (p.ex. la FRR).
Il est néanmoins vital de s’assurer que les priorités environnementales soient correctement prises en compte dans la gouvernance économique car celles-ci, tout comme les priorités sociales, contribuent à rééquilibrer le cadre réglementaire en faveur de la justice sociale et environnementale. La CES étudiera la possibilité de proposer une procédure pour les déséquilibres environnementaux en lien avec les procédures de déséquilibres sociaux et économiques.
Résumé de la proposition BE-ES de PDS
L’objectif général, en lien avec la procédure sur les déséquilibres macroéconomiques (PDM), serait d’identifier, de prévenir et de s’attaquer à l’émergence de déséquilibres sociaux potentiellement préjudiciables qui pourraient avoir un effet négatif sur l’emploi et les conditions de vie dans un État membre particulier, dans la zone euro ou dans l’UE dans son ensemble.
La PDS peut être introduite sans réglementation spécifique et être entièrement basée sur les procédures existantes de l’article 148 TFUE et du Semestre européen. Aucun volet correctif ne serait inclus. La PDS pourrait être établie par le biais de conclusions du Conseil. En outre, aucun autre rapport ou instrument ne serait nécessaire : la procédure serait entièrement basée sur des méthodologies, rapports et procédures existants tels que le tableau de bord social, le rapport conjoint sur l’emploi et les rapports par pays.
Les deux comités consultatifs de l’EPSCO et la Commission pourraient travailler ensemble pour élaborer les critères et la procédure détaillée pour identifier un « déséquilibre » dans un pays (par ex. une série de situations critiques ou de situations à surveiller, etc.). Ces critères devraient tenir compte des positions nationales de départ et refléter les divergences dans tous les États membres par rapport aux objectifs communs et à l’objectif général de convergence sociale à la hausse. La PDS pourrait également prendre en compte les déséquilibres qui transcendent les États membres individuels et identifier les déséquilibres au niveau européen.
Pratiquement, et en s’inspirant de la PDM, la Commission pourrait inclure, dans les rapports conjoints sur l’emploi, une liste de pays qu’elle estime être exposés à un risque de déséquilibre social. Par la suite, elle pourrait leur accorder une attention particulière dans les rapports par pays sous forme d’un « examen social approfondi » (à l’exemple des examens approfondis dans le rapport sur le mécanisme d’alerte – RMA). Une fois que les États membres considérés comme étant exposés au risque de déséquilibre ont été identifiés, le Conseil serait invité à en discuter et pourrait alors aussi discuter de la manière dont ces pays peuvent être aidés. Enfin, les RSP incluraient des recommandations visant explicitement les déséquilibres sociaux et invitant les États membres à prendre des mesures pour corriger la situation.
Les recommandations budgétaires et macroéconomiques ne devraient pas entraver la correction des déséquilibres sociaux qui ont été identifiés. Au contraire, elles devraient être soutenues par des investissements adéquats et des ressources financières appropriées pour y répondre. PDM et PDS seraient clairement des procédures complémentaires : l’une pour identifier les déséquilibres macroéconomiques et l’autre pour identifier les déséquilibres sociaux.