Brussels, 12/12/2008
La Commission européenne a présenté – dans le cadre de « L’agenda social renouvelé » du 2 juillet 2008 - une proposition de directive relative aux droits des patients en matière de soins de santé transfrontaliers. L'objectif de ce projet est, en particulier, de préciser la façon dont les patients peuvent exercer leurs droits, reconnus par la Cour de justice européenne, d’aller se faire soigner dans d’autres États membres.
Pour la CES, ce projet de directive doit être analysé tant du point de vue de son impact et de ses conséquences sur les systèmes de santé nationaux que de celui sur la mise en œuvre des droits fondamentaux des patients, comme ceux qui sont consacrés dans la Charte des droits sociaux fondamentaux (Charte sociale) de l’Union européenne.
Points de désaccords
Pour ce qui est de la proposition de directive elle-même, la CES tient donc à formuler préalablement trois points de désaccord.
Premièrement, elle insiste sur le fait que l’accès aux soins doit être fondé sur les besoins des patients et non être subordonné à leurs moyens financiers. Par certaines de ses dispositions, notamment celle de l’avance des coûts supportés pour les soins reçus à l’étranger, favorisant celles et ceux qui en ont les moyens, le projet remet en cause le principe de l’égalité d’accès de toutes et tous à des soins de qualité.
La CES estime, également, que cette proposition est disproportionnée et qu’elle va au-delà de ce qui est nécessaire, au regard de son objectif qui vise à clarifier le cadre juridique existant et à apporter certaines sécurités au patient qui se déplace au sein de l’Union européenne.
Enfin, la CES relève que cette proposition contrevient au principe de subsidiarité en proposant, entre autres dispositions, le transfert vers les instances communautaires de certaines compétences, telles que celles portant sur l’organisation de son système de santé (et notamment de ce qui relève des soins ambulatoires et de l’hospitalisation).
Universalité et accessibilité de tous à des soins de qualité
C’est pourquoi, la CES tient tout d’abord à réaffirmer son attachement à la promotion, l’amélioration et la qualité des systèmes publics de santé, ainsi qu’à l’universalité et l’accessibilité de tous à des soins de qualité. Elle rappelle que ces missions sont remplies dans la majorité des cas par les systèmes nationaux qui sont souvent les mieux placés pour prodiguer les soins à ceux qui en ont besoin par des services de soins de santé de proximité. En plus, une véritable politique de santé publique ne peut se résumer à une seule approche curative (recevoir et/ou dispenser des soins), mais elle comporte une approche tout aussi déterminante, à savoir la prévention.
Ceci étant précisé, la CES prend acte toutefois du fait que cette initiative législative rend au Conseil et au Parlement – ce que revendiquait la CES – leur primauté dans la définition des règles en ce qui concerne les soins de santé transfrontaliers, assurée depuis de trop nombreuses années par la seule Cour de justice.
Davantage de simplification administrative et de coopération transfrontalière
La CES prend acte également, en ce qui concerne la médecine ambulatoire, de l’effort de simplification administrative réalisé au profit des patients qui sont appelés à se déplacer au sein de l’Union européenne. Entérinant la suppression de l’autorisation préalable de l’organisme de sécurité sociale du pays d’origine - nécessaire antérieurement aux arrêts de la Cour de ces dernières années pour se faire soigner à l’étranger, sauf en cas d’urgence - cette proposition ne remet donc plus en cause, pour le patient, le principe du remboursement des soins reçus en dehors des frontières ainsi que des prescriptions délivrées à cette occasion, introduisant le principe de la reconnaissance réciproque.
La CES relève enfin, l’accent mis sur la coopération transfrontalière en matière de santé – y compris dans le développement de la télémédecine et l’établissement de « centres de référence », ce qui reprend une demande antérieure de la CES. Toutefois cette coopération existait déjà dans le cadre de la coordination des soins de santé et du règlement 1408/71, appelé à devenir le règlement 883/2004. Une directive n’était donc pas nécessaire pour atteindre ce but.
Effets induits par la proposition de la Commission
Mais au-delà de ces mesures que l’on peut considérer comme positives, sous certains aspects, pour les citoyens européens – qui sont aussi des patients en puissance – la CES s’inquiète des effets négatifs induits par cette proposition et ses conséquences sur le moyen et/ou le long terme sur les systèmes de santé nationaux et sur les situations d’inégalités entre patients qu’elle peut générer. Ces inquiétudes sont de natures diverses.
Tout d’abord sur l’approche adoptée par cette proposition de directive, la CES déplore que cette initiative s’inscrit dans une démarche consumériste – la possibilité d’aller faire son « marché de soins de santé » – fondée sur la satisfaction des besoins individuels, dont la somme ne saurait définir l’intérêt général. Démarche consumériste individualiste, qui est la négation du principe de solidarité, sur lequel sont fondés les systèmes de protection sociale européens, et les systèmes de santé en particulier.
D’autre part, théoriquement, les Etats membres restent maîtres de l’organisation de leurs systèmes de santé, y compris en terme d’hospitalisation. Et en ce qui concerne les soins hospitaliers, ils peuvent ainsi mettre en oeuvre des mécanismes de planification, et de régulation des flux des patients par le système d’autorisation préalable. Mais cette affirmation semble être surtout une position de principe. Car, comme le précise la proposition de directive, cette autorisation ne pourra être demandée que dans des cas exceptionnels et sera limitée « à ce qui est nécessaire et proportionné et ne doit pas constituer un moyen de discrimination arbitraire ». En outre, la CES remarque qu’en adoptant cette formulation, un nouvel élément d’insécurité juridique est introduit – contrairement à ce que prétendait résoudre la proposition – portant sur les causes que les Etats membres pourront invoquer pour l’introduction d‘une autorisation préalable.
De même, le remboursement des soins spécialisés qui ne nécessitent pas de séjour à l’hôpital est possible s’ils sont inscrits sur la liste dressée par la Commission. Cette disposition pose deux types de problèmes. D’abord, celui de la compétence de la Commission dans ce domaine. Ensuite, comme déjà indiqué, celui d’une remise en cause d’un domaine de responsabilité des Etats membres (l’organisation de son système de santé, et notamment de ce qui relève des soins ambulatoires et de ce qui relève de l’hospitalisation). Elle porte en outre le risque de remettre en cause, de manière restrictive, certaines pratiques médicales en œuvre dans chacun des Etats.
En facilitant la mobilité des patients, cette initiative peut avoir un autre effet pervers : celui de ne pas inciter les pays, pour lesquels cela s’avère pourtant nécessaire et/ou qui connaissent des « listes d’attente », à améliorer qualitativement et quantitativement leur propre système de santé. Cette mobilité encouragée offre ainsi une opportunité moins coûteuse pour eux de résoudre ces problèmes, mais au détriment des patients nationaux qui n’ont pas les possibilités financières de s’offrir cette mobilité.
Risque d'un système de santé européen à deux vitesses
En effet, telle que rédigée et notamment du fait que les patients devront faire l’avance des soins reçus à l’étranger, mais aussi parce que ne sont pas prévues les prises en charge du transport et de l’hébergement éventuel, cette proposition créera « de facto » un « système de santé européen » à deux vitesses en offrant des opportunités pour les plus riches au détriment des autres. Avec le risque de renforcer des migrations à sens unique :
• en ce qui concerne les patients : migrations des patients venant des systèmes de soins les plus coûteux vers les systèmes les moins coûteux, puisque le remboursement, effectué à posteriori, se fera sur la base du pays d’origine ;
• et en ce qui concerne les prestataires : des pays où la rémunération est la moins favorable vers ceux où elle est meilleure, avec un double risque, celui de priver les pays d’origine de leurs praticiens les meilleurs, et dans le pays d’accueil, de déséquilibrer l’offre de soins.
De même, les conséquences sont ignorées:
• sur la question, essentielle, de la sécurité des patients - la nécessité de suivi médical (« l’après soins ») - et de la protection appropriée des données personnelles des patients ;
• sur les professionnels de la santé, aussi bien ceux oeuvrant dans les systèmes de soins de santé devant faire face à un afflux de patients étrangers (conditions de travail, formation – y compris linguistique) que ceux travaillant dans les systèmes affaiblis par les départs massifs de certaines catégories des professionnels, ce qui risque de remettre en cause la qualité des soins dispensés;
• sur les tensions qui pourront exister à l’intérieur des systèmes, y compris en terme d’investissements dans des structures d’accueil pour recevoir ces nouveaux patients et qui pèseront sur les Etats membres confrontés à un afflux important de patients étrangers;
• sur l’organisation même des systèmes qui risque d’être remis en cause, voire démantelée, notamment ceux qui prévoient des régulations dans l’installation des praticiens ou des établissements de soins.
Cette directive peut induire une discrimination indirecte au détriment de la satisfaction des besoins des nationaux par rapport aux patients migrants, dans la mesure où certains hôpitaux, en particulier, mais aussi certains professionnels, risquent de privilégier et de se « spécialiser » – ce qui est déjà le cas, mais ce qui alors sera renforcé – dans des filières financièrement plus rentables et/ou plus porteuses, en y affectant ou en y attirant le personnel le plus compétent et – parce que les « enveloppes budgétaires » ne sont pas extensibles – en négligeant les autres filières ou secteurs.
Enfin, la CES estime qu’il convient de distinguer la « libre circulation des personnes » (sur laquelle tout le monde s’accorde) de la «libre circulation des services », qui relève des lois du marché intérieur (c’est-à-dire, liberté de proposer, liberté d’entreprendre, liberté de dispenser des services). La CES réaffirme donc que les soins de santé doivent être considérés tout d’abord dans la perspective de l’intérêt général. Elle est ainsi clairement opposée à la subordination des services de soins de santé aux règles du marché intérieur, ce qui risque d’accentuer la privatisation et la commercialisation de ces services de soins dans les Etats membres. Les Etats doivent rester maîtres de les réguler, pour garantir la qualité et l’accessibilité de ces services, compte tenu des limites des ressources financières.
En conclusion, un constat s’impose : le « patient » n’est plus au cœur du débat, mais il est supplanté par le « consommateur ». En effet, la démarche n’est pas la même lorsqu’il s’agit de pouvoir se faire soigner lors d’un déplacement ou d’un travail à l’étranger, et lorsqu’on décide d’aller faire son choix dans l’éventail des prestations de soins offert à l’étranger! L’approche sociale se trouve ainsi occultée au profit de l’approche consumériste. La question déjà soulevée demeure : Qu’en adviendra-t-il, des « systèmes solidaires de santé »?
Principe de subsidiarité et des fondements sociaux des sytèmes de santé mis en cause par les mesures proposées
Par ailleurs, pour la CES et comme il a déjà été relevé, cette proposition, par nombre de mesures qu’elle préconise et leurs effets négatifs induits, apparaît disproportionnée. En plus, elle risque de remettre en cause, au-delà de certaines intentions affichées, le principe de subsidiarité et les fondements sociaux sur lesquels les systèmes de santé sont édifiés.
La CES attend donc du Conseil et du Parlement une réorientation fondamentale de cette proposition qui:
• prenne en compte ses priorités telles qu’elles viennent d’être rappelées ainsi que les aspirations des personnels travaillant dans ces secteurs ;
• corrige la logique « consumériste » et de « marché » du texte actuel ;
• replace le patient au centre de la démarche ;
• et permette de développer partout au sein de l’Union, des systèmes de santé de qualité, accessibles à tous, en développant une vraie politique de santé publique et en faisant en sorte que soient mieux utilisés les moyens humains et financiers nécessaires.
La position de la CES
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