Position de la CES : Réponse à la consultation des partenaires sociaux sur la DCMR6

Position de la CES : Réponse à la consultation des partenaires sociaux sur la DCMR6

Adoptée lors de la réunion du Comité exécutif des 27-28 septembre 2023

Introduction

La Confédération européenne des syndicats (CES) salue l’intention de la Commission européenne de réviser la directive concernant la protection des travailleurs contre les risques liés à l’exposition à des agents cancérigènes ou mutagènes au travail (DCMR ou directive 2004/37/CE).

L’objectif de cette sixième révision de la législation est d’améliorer la pertinence et l’efficacité de la directive. Pour ce faire, il convient d’étendre l’annexe I ou d’établir de nouvelles valeurs limites à l’annexe III pour les substances ou groupes de substances prioritaires suivants : fumées de soudage, hydrocarbures aromatiques polycycliques (en utilisant le benzo [a] pyrène comme marqueur), isoprène, 1,4-dioxane, cobalt et composés inorganiques du cobalt.

Avant de présenter des propositions dans le domaine de la politique sociale, la Commission doit consulter les partenaires sociaux sur la nécessité et l’orientation possible d’une action syndicale (article 154, paragraphe 2, du TFUE).

La Commission européenne a invité les partenaires sociaux à répondre aux questions suivantes en relation avec ses documents de consultation datés du 15/02/2023 :

(1)   Êtes-vous d’accord pour dire que les questions identifiées ci-dessus sont    couvertes de manière précise et suffisante ?

(2)   Estimez-vous que l’UE devrait aborder ces questions par le biais d’un instrument         contraignant ?

(3)   Envisageriez-vous d’entamer un dialogue au titre de l’article 155 du TFUE sur    l’une    ou l’autre des questions soulevées dans le cadre de la présente    consultation ?

La CES est donc heureuse de contribuer à cette première phase de consultation.

La CES rappelle que l’élimination ou le remplacement des produits chimiques dangereux par des alternatives plus sûres sont les meilleures mesures de prévention sur le lieu de travail. La CES souligne également que les travailleuses sont largement sous-représentées dans la recherche sur les risques sanitaires associés à l’exposition aux produits chimiques sur le lieu de travail. De même, des hypothèses erronées sur les emplois occupés par de nombreuses travailleuses peuvent conduire à négliger leur santé et leur sécurité. Il est donc essentiel que la Commission mette l’accent sur les différences entre les hommes et les femmes dans ses initiatives actuelles et futures visant à améliorer la protection des travailleurs contre les risques chimiques. Étant donné que les travailleurs sont souvent exposés à un cocktail de substances dangereuses sur leur lieu de travail, l’exposition multiple devrait également être prise en compte.

Nous souhaitons rappeler à la Commission qu’il est encore nécessaire d’améliorer la réglementation relative aux médicaments dangereux (HMP), auxquels sont exposés plus de 12 millions de professionnels de la santé en Europe. Selon l’Art. 18 a introduit par la récente révision de la directive : S’il y a lieu et au plus tard le 5 avril 2025, compte tenu de l’évolution récente des connaissances scientifiques et après avoir dûment consulté les parties prenantes, la Commission élabore une définition et établit une liste indicative des médicaments dangereux ou des substances qu’ils contiennent, qui répondent aux critères de classification dans la catégorie 1A ou 1B des agents cancérigènes énoncées à l’annexe I du règlement (CE) no 1272/2008, des agents mutagènes ou des substances reprotoxiques. (directive [UE] 2022/431 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2022). À cette fin, nous aimerions partager une position commune des partenaires sociaux européens dans le secteur de la santé et des hôpitaux : EPSU et l’HOSPEEM, qui appellent à l’établissement de la définition et de la liste des HMP.

En outre, compte tenu de la récente reclassification de l’exposition professionnelle par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) de l’OMS, à partir de juin 2022, dans laquelle le métier de pompier a été classé comme « cancérogène pour l’homme » (groupe 1), la CES recommande à la Commission d’inclure les pompiers dans les professions protégées dans le texte de la directive. La reclassification a conclu à l’existence d’un lien de causalité entre l’exposition professionnelle en tant que pompier et le mésothéliome et le cancer de la vessie, en particulier qu’il existait des preuves « suffisantes » chez l’homme pour le mésothéliome et le cancer de la vessie. Il existe des preuves « limitées » chez l’homme pour les cancers du côlon, de la prostate et des testicules, ainsi que pour le mélanome et le lymphome non hodgkinien. Il existe également des preuves mécanistes « solides » que l’exposition professionnelle en tant que pompier présente les caractéristiques clés suivantes des agents cancérigènes chez les humains exposés : « est génotoxique », « induit des altérations épigénétiques », « induit un stress oxydatif », « induit une inflammation chronique » et « module les effets médiés par les récepteurs ». Sept études portant sur l’incidence du mésothéliome chez les pompiers ont été incluses dans la méta-analyse. Pour ces études combinées, la méta-analyse du groupe de travail a estimé que le risque de mésothéliome chez les pompiers était 58 % plus élevé (IC à 95 % 14-120 %) que dans le reste de la population. L’exposition professionnelle en tant que pompier doit être présumée s’appliquer à tous les pompiers (y compris les volontaires) et aux hommes comme aux femmes. L’exposition professionnelle en tant que pompier est complexe et comprend une variété de risques résultant d’incendies et d’événements non liés aux incendies. Les pompiers peuvent avoir des rôles, des responsabilités et des emplois divers (par exemple, à temps plein, à temps partiel ou bénévole) qui varient considérablement d’un pays à l’autre et évoluent au cours de leur carrière. Les pompiers interviennent sur différents types d’incendies (par exemple, les incendies de structure, les incendies de forêt et les incendies de véhicules) et sur d’autres événements (par exemple, les accidents de véhicules, les incidents médicaux, les rejets de matières dangereuses et les effondrements de bâtiments). Les incendies de forêt empiètent de plus en plus sur les zones urbaines. L’évolution des types d’incendies, des matériaux de construction, des équipements de protection individuelle (EPI) et des rôles et responsabilités des pompiers a entraîné des changements substantiels dans l’exposition des pompiers au fil du temps.

La CES souligne également que les pompiers peuvent être exposés aux produits de combustion des incendies (par exemple, les hydrocarbures aromatiques polycycliques [HAP] et les particules), aux matériaux de construction (par exemple, l’amiante), aux produits chimiques contenus dans les mousses anti-incendie (par exemple, les substances perfluorées et polyfluorées [PFAS]), aux retardateurs de flamme, aux gaz d’échappement des moteurs diesel et à d’autres risques (par exemple, le travail de nuit et les rayonnements ultraviolets ou autres). L’absorption d’effluents d’incendie ou d’autres produits chimiques peut se faire par inhalation et par absorption cutanée, voire par ingestion. Les pompiers utilisent des EPI pour réduire leur exposition. Les appareils respiratoires autonomes sont souvent portés lors d’activités de lutte contre les incendies impliquant des structures ou des véhicules, mais moins souvent lors de la lutte contre les incendies de forêt, où les pompiers peuvent être déployés sur des incendies de forêt plusieurs fois par an et rester à proximité du feu pendant plusieurs semaines. L’absorption cutanée de produits chimiques peut se produire même chez les pompiers qui portent des EPI en raison des limites de leur conception, de leur ajustement, de leur entretien ou de leur décontamination. En outre, des expositions peuvent se produire lorsque les pompiers ne luttent pas activement contre les incendies et ne portent pas d’EPI.

En ce qui concerne la question (1), la réponse de la CES est spécifique à chaque (groupe de) substance(s) et complète les questions identifiées par la Commission avec les observations et demandes suivantes :

  1. Fumées de soudage

La CES estime que les fumées de soudage doivent être incluses dans l’annexe I de la DCMR car le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) a classé les fumées de soudage (et le rayonnement UV) comme « cancérogènes pour l’homme » (groupe 1). En outre, l’exposition aux fumées de soudage provoque des lésions pulmonaires et divers types de cancer, notamment du poumon, du larynx et des voies urinaires. On estime que 2 millions de travailleurs sont potentiellement exposés aux fumées de soudage dans l’UE (principalement des soudeurs).

Comme la DCMR couvre les substances répondant aux critères de classification des substances cancérigènes, mutagènes ou reprotoxiques de catégorie 1A/1B selon le règlement CLP, la CES demande qu’il soit précisé dans la 6e révision de la DCMR que le champ d’application de l’annexe I ne couvre pas seulement les substances cancérigènes mais aussi les substances mutagènes et reprotoxiques.

La CES est également d’avis qu’une entrée dans l’annexe I est évidente et ne constitue qu’une clarification juridique du fait que les fumées de soudage contenant des substances CMR entrent automatiquement dans le champ d’application de la directive. Par conséquent, l’entrée dans l’annexe I n’est pas suffisante et d’autres mesures sont nécessaires pour améliorer de manière adéquate la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs exposés aux fumées de soudage.

L’étude exploratoire sur les fumées de soudage préparée par l’AEPC a identifié un certain nombre de mesures supplémentaires qui pourraient compléter l’inscription des fumées de soudage à l’annexe I. Les mesures suivantes doivent donc être évaluées :

  • Fixer une valeur limite d’exposition professionnelle (VLEP) générique pour les poussières inhalables et respirables. Cela signifie qu’il faut fixer une VLEP générique pour les poussières inhalables et respirables en plus de toutes les exigences de la DCMR et de la DAC en matière de VLEP, spécifiques aux fumées de soudage.
  • Définir des mesures de protection/contrôle obligatoires pour les techniques de soudage qui entraînent des émissions plus importantes de fumées de soudage, ou promouvoir des techniques à faibles émissions.
  • Introduire des programmes de surveillance de la santé pour les soudeurs dans certaines conditions

La CES est d’avis qu’elles devraient être inclues dans le texte juridique dès que possible.

  1. Hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP)

Après l’inclusion des HAP complexes dans l’annexe I de la DCMR dans la directive 2019/130 (deuxième révision de la DMC), la CES estime qu’il est cohérent et nécessaire de compléter l’entrée dans l’annexe I par une VLEP contraignante pour les HAP dans l’annexe III de la DCMR (en utilisant le benzo-a-pyrène comme marqueur de l’exposition aux HAP). Ce mélange complexe de substances cancérigènes est produit lors de la combustion et de la pyrolyse de matières organiques et est donc « généré par le processus ». L’exposition aux HAP provoque des cancers du poumon, de la peau, de la vessie ainsi que des leucémies. On estime que 7 millions de travailleurs sont potentiellement exposés aux HAP dans l’UE.

La CES souhaite attirer l’attention de la Commission sur l’adoption récente d’un avis du Comité consultatif pour la santé et la sécurité sur une méthodologie basée sur le risque pour fixer des valeurs limites pour les substances cancérigènes sans seuil. La CES estime que cette méthodologie devrait être appliquée pour la première fois au (groupe de) substances de la DCMR6 et considère donc que le risque résiduel de cancer associé aux futures VLEPB pour les HAP doit rester dans les limites de risque convenues. En outre, la CES demande que ce risque résiduel de cancer soit clairement mentionné dans le texte juridique (nouvelle colonne dans l’annexe III). Les informations relatives au risque résiduel, rendues publiques au niveau de l’UE, sont précieuses pour les travaux futurs visant à limiter les risques liés à l’exposition professionnelle aux substances cancérigènes, y compris en révisant les valeurs limites fixées dans la présente directive. La transparence de ces informations devrait être davantage encouragée.

  1. Cobalt et composés inorganiques du cobalt

La CES soutient l’adoption de VLEP contraignantes pour le cobalt et les composés inorganiques du cobalt dans l’annexe III de la DCMR. Ces composés sont utilisés dans l’industrie métallurgique pour produire des alliages, dans l’industrie chimique comme catalyseurs et pour la production de batteries pour les véhicules électriques, les tablettes et les smartphones. L’exposition au cobalt et à ses composés provoque des cancers du poumon, des troubles de la reproduction et des effets respiratoires. On estime que plus de 80 000 travailleurs sont potentiellement exposés à ces composés. Il convient d’accorder une attention particulière aux travailleurs des secteurs des déchets et du recyclage, qui pourraient être de plus en plus exposés à l’avenir en raison de la transition énergétique et de toutes les mesures visant à lutter contre le changement climatique et la dégradation de l’environnement dans le cadre du « Green Deal » européen.  

Plusieurs États membres disposent déjà d’une VLEP nationale pour le cobalt et les composés du cobalt. Cependant, ces VLEP varient considérablement d’un pays à l’autre et il est nécessaire d’adopter une VLEP ambitieuse dans l’annexe III de la DCMR, ce qui contribuera à améliorer la protection de tous les travailleurs exposés dans l’ensemble de l’UE. L’adoption d’un niveau ambitieux pour le cobalt et ses composés devrait être facilitée par le fait que ces composés sont généralement utilisés dans l’industrie avec d’autres métaux lourds tels que les composés de nickel et de cadmium pour lesquels des niveaux d’exposition admissibles ont déjà été adoptés dans le cadre de la DCMR. Étant donné que les mesures de gestion des risques sont communes à de nombreux composés de métaux lourds et qu’elles sont déjà en place pour se conformer aux VLEP existantes, aucune mesure de protection supplémentaire ne sera nécessaire dans de nombreux cas. 

La CES souhaite attirer l’attention de la Commission sur l’adoption récente d’un avis du Comité consultatif pour la santé et la sécurité sur une méthodologie basée sur le risque pour fixer des valeurs limites pour les substances cancérigènes sans seuil. La CES estime que cette méthodologie devrait être appliquée pour la première fois au (groupe de) substances de la DCMR6 et considère par conséquent que le risque résiduel de cancer associé aux futures VLEPB pour le cobalt et les composés du cobalt doit rester dans les limites de risque convenues. En outre, la CES demande que ce risque résiduel de cancer soit clairement mentionné dans le texte juridique (nouvelle colonne dans l’annexe III). Les informations relatives au risque résiduel, rendues publiques au niveau de l’UE, sont précieuses pour les travaux futurs visant à limiter les risques liés à l’exposition professionnelle aux substances cancérogènes, y compris en révisant les valeurs limites fixées dans la présente directive. La transparence de ces informations devrait être davantage encouragée.

  1. 1,4–dioxane

La CES est d’avis qu’une VLEP contraignante doit être incluse dans l’annexe III de la DCMR pour le 1,4-dioxane. Ce solvant est utilisé en milieu industriel et provoque chez les travailleurs exposés des cancers du nez et du foie, en plus de l’irritation des voies respiratoires, de la néphrotoxicité et de l’hépatotoxicité. On estime que plus de 35 000 travailleurs sont potentiellement exposés au 1,4-dioxane dans l’UE.

La plupart des États membres disposent déjà d’une VLEP nationale pour le 1,4-dioxane depuis qu’une VLEP indicative a été adoptée pour ce solvant dans la directive sur les agents chimiques. Toutefois, les VLEP nationales varient considérablement d’un pays à l’autre, certains États membres ayant une VLEP nationale beaucoup plus protectrice que la VLEP indicative actuelle de l’UE.

La CES souhaite souligner qu’en ce qui concerne la fixation des VLEP, ce qui est faisable dans un État membre l’est également dans les autres États membres. Elle s’attend donc à ce que la future VLEP contraignante de l’UE pour le 1,4-dioxane soit au moins aussi protectrice que la VLEP nationale la plus basse déjà en place dans l’UE.

  1. Isoprène

La CES soutient l’adoption d’une VLEP contraignante pour l’isoprène dans l’annexe III de la DCMR. L’isoprène est un produit intermédiaire dans l’industrie chimique et l’industrie du caoutchouc. La cancérogénicité de l’isoprène a été clairement démontrée dans des études animales et il est donc important de fixer une valeur limite européenne pour la protection des travailleurs potentiellement exposés à l’isoprène.

En outre, quelques États membres ne disposent que d’une VLEP nationale pour l’isoprène, ce qui constitue un argument supplémentaire en faveur de l’adoption d’une VLEP pour ce cancérogène au niveau de l’UE.

La CES souhaite attirer l’attention de la Commission sur l’adoption récente d’un avis du Comité consultatif pour la santé et la sécurité sur une méthodologie basée sur le risque pour fixer des valeurs limites pour les substances cancérigènes sans seuil. La CES estime que cette méthodologie devrait être appliquée pour la première fois au (groupe de) substances de la DCMR6 et considère donc que le risque résiduel de cancer associé aux futures VLEPB pour l’isoprène doit rester dans les limites de risque convenues. En outre, la CES demande que ce risque résiduel de cancer soit clairement mentionné dans le texte juridique (nouvelle colonne dans l’annexe III). Les informations relatives au risque résiduel, rendues publiques au niveau de l’UE, sont précieuses pour les travaux futurs visant à limiter les risques liés à l’exposition professionnelle aux substances cancérigènes, y compris en révisant les valeurs limites fixées dans la présente directive. La transparence de ces informations devrait être davantage encouragée.

En réponse aux questions (2), la CES est d’avis que l’Union européenne doit prendre une initiative législative contraignante pour les États membres. Cela réduira l’impact nocif de l’exposition aux fumées de soudage, aux hydrocarbures aromatiques polycycliques, à l’isoprène, au 1,4-dioxane et au cobalt et aux composés inorganiques du cobalt sur la santé et la sécurité des travailleurs.

En réponse à la question (3) de savoir si nous souhaiterions que la révision de la DCMR ait lieu dans le cadre des procédures de dialogue social prévues par l’article 155 du TFUE, la CES s’engage pleinement en faveur du dialogue social, mais estime qu’une action législative contraignante de l’UE est nécessaire sur ces questions et qu’il n’est donc pas nécessaire d’entamer des négociations avec les organisations d’employeurs au niveau de l’UE.