Position de la CES relative à la flexibilité offerte par le Pacte de stabilité et de croissance
Adoptée par le Comité exécutif de la CES les 8 et 9 juin 2016
Le 13 janvier 2015, la Commission européenne publiait une communication intitulée « Utiliser au mieux la flexibilité offerte par les règles existantes du pacte de stabilité et de croissance ». Cette communication a été approuvée par le Conseil en février 2016.
La CES se réjouit du fait que la Commission européenne ait tenu compte des critiques concernant le caractère procyclique du pacte de stabilité et de croissance (PSC), surtout en temps de crise ou de « timide » relance.
En effet, l’application stricte du PSC et la mise en œuvre de réformes structurelles des marchés du travail et des marchés des produits témoignent d’une tendance récessive et continuent à nuire à l’économie européenne et à son modèle social.
Il faut faire preuve de plus de flexibilité pour encourager bien plus d’investissements, tant publics que privés, et accorder plus de temps aux États membres pour leur permettre de s’adapter.
Toutefois, la CES pense que la flexibilité évoquée par la Commission européenne, bien qu’allégeant l’austérité, reste insuffisante eu égard à la situation dans certains États membres de l’UE et elle réitère son appel en faveur d’une révision du PSC. Le principe du caractère sacré de la dette doit être rééquilibré en fonction des besoins sociaux et d’une approche fondée sur les droits.
Le manque d’investissement
En 2013, les estimations portant sur le manque d’investissement public et privé en Europe se situaient entre 230 et 370 milliards d’euros. L’investissement public, tant dans la zone euro que dans l’Union européenne dans son ensemble, a constamment diminué depuis 2009. La marge de manœuvre pour de nouveaux investissements est donc bien large.
À cet égard, le plan Juncker, bien que constituant une première exception à la logique d’austérité, est insuffisant, particulièrement si l’on considère la taille de l’économie européenne et les lourdes contraintes budgétaires auxquelles sont soumis de nombreux États membres.
Afin de favoriser une augmentation des investissements, la communication de la Commission européenne autorise les États membres à participer au Fonds européen pour les investissements stratégiques (EFSI), déjà soutenu par le budget européen et la Banque européenne d’investissement à hauteur de 21 milliards d’euros, sans déclencher une procédure pour déficit excessif[1].
Ces contributions doivent permettre une augmentation du montant investi total mais ne garantissent pas que davantage de fonds seront investis dans les pays qui en ont le plus besoin et qui sont confrontés à une situation économique difficile.
Seuls les États membres soumis au volet préventif du pacte peuvent prétendre à un « écart temporaire » pour des « projets en grande partie cofinancés par l’UE dans le cadre du Fonds européen pour les investissements stratégiques, des réseaux transeuropéens et du Mécanisme pour l’interconnexion en Europe, ainsi que pour le cofinancement national de projets également cofinancés par l’EFSI. »
Cette flexibilité est en outre liée à une série de conditions : la croissance du PIB doit être négative ou le PIB rester largement inférieur à son potentiel ; l’écart ne peut entraîner un dépassement de la limite de 3% fixée pour le déficit et doit tenir compte d’une marge de sécurité appropriée ; les niveaux d’investissement doivent effectivement augmenter en conséquence ; l’écart temporaire doit être corrigé par l’État membre durant la période de quatre ans couverte par son programme de stabilité ou de convergence.
Les États membres soumis au volet correctif du pacte, et donc à la procédure concernant les déficits excessifs[2], ne peuvent bénéficier de cette flexibilité, bien que des écarts minimes et temporaires par rapport aux trajectoires budgétaires soient autorisés par le code de conduite adopté par l’ECOFIN en septembre 2012 et complété par les modalités d’action effectives approuvées par l’ECOFIN en juin 2014.
La CES doute donc fortement des conséquences positives de telles mesures sur les investissements et la croissance, en particulier pour les États membres les plus endettés.
La CES demande que la flexibilité soit étendue aux États membres qui connaissent des situations difficiles afin de leur permettre d’augmenter leur déficit au-delà de la limite des 3% pour favoriser les investissements publics, financer les infrastructures et la recherche, ainsi que l’éducation universelle et de haute qualité, les soins de santé et les services sociaux. Si, en outre, les investissements engagés le sont essentiellement dans le but de produire des effets budgétaires positifs à long terme, la période de compensation de quatre ans prévue par les programmes de stabilité ou de convergence respectifs des États membres doit être allongée.
La CES demande également que la flexibilité accordée aux États membres soumis au volet préventif du pacte soit aussi accordée aux États membres soumis au volet correctif du pacte.
Une situation budgétaire saine
Les principaux objectifs de la Commission européenne sont de développer « une politique budgétaire saine » et la « viabilité des finances publiques » qui permettent « aux stabilisateurs automatiques de jouer pleinement leur rôle afin d’atténuer d’éventuels chocs économiques. »
Cependant, la simple théorie économique postule que les déficits publics sont un résultat plutôt qu’une cause des ralentissements économiques. A cet égard, exiger une réduction du déficit en temps de crise est contre-productif car cela limite les investissements et la croissance. Au contraire, les déficits peuvent augmenter de façon à soutenir les investissements en période de ralentissement économique. Bien qu’une situation budgétaire saine au terme du cycle reste le bon objectif, cela pourrait impliquer que des États membres augmentent temporairement leur déficit et leur dette publique afin de stimuler une relance par une augmentation des investissements et des dépenses publiques.
Par contre, lorsqu’un pays bénéficie d’une conjoncture favorable, une partie de l’ajustement devrait servir à compenser l’augmentation antérieure tout en préservant le niveau nécessaire d’investissement, d’emploi et de consommation.
Sous ce rapport, même en tenant compte de la flexibilité supplémentaire, le PSC est asymétrique et empêche la mise en œuvre de politiques anticycliques.
Prochaines étapes
La CES appelle à une vision à plus long terme en matière de finances publiques empêchant les États membres de s’engager dans des politiques d’austérité en temps de crise. L’échec généralisé de réduire les niveaux de dette publique en Europe ne devrait pas être une surprise puisque cela est le résultat de la réduction des dépenses gouvernementales.
La CES regrette que l’investissement public soit devenu l’une des premières cibles de l’ajustement. Nous demandons des investissements publics bien plus importants dans les infrastructures et la recherche ainsi qu’un enseignement universel, des services de santé et des services sociaux de grande qualité. Les investissements publics spécifiques dans ces domaines ne devraient pas être comptabilisés lors de l’évaluation des niveaux des déficits nationaux. Cela est particulièrement pertinent en période de basse conjoncture[3].
Il faudrait au moins déterminer un niveau minimum d’investissement public afin de maintenir l’équilibre entre dette publique et capital public. Cela garantirait un niveau minimum d’investissement durable et stable[4]. La CES rejette l’idée d’une simple redistribution de moyens publics existants en faveur de l’investissement. Cela reviendrait à augmenter l’investissement au détriment d’autres domaines importants des dépenses publiques.
Etant donné que l’investissement représente un coût qu’il faut financer, mais aussi une source de recettes futures, compenser l’écart budgétaire sur une période de quatre ans pourrait nuire à la croissance. De plus, l’endettement brut pourrait ne pas être la bonne référence pour certains États membres qui disposent d’actifs importants. La CES propose dès lors un nouvel indicateur afin de compléter le niveau d’endettement brut, c.-à-d. la valeur nette de la dette, qui fait référence à l’endettement brut moins les actifs financiers et autres possédés par les entités publiques. Cet indicateur permettrait aux responsables politiques de se concentrer tant sur l’aspect du financement que sur l’aspect des revenus des investissements. La dette nette gouvernementale leur permettrait d’évaluer la capacité du pays à payer les intérêts de sa dette. Cette vision à long terme diminuerait la motivation à court terme de réduire les dépenses publiques.
La CES entamera de nouvelles discussions sur la possibilité de créer une Trésorerie euro pour les investissements publics. Ces discussions viendront compléter les propositions de changement de politique indépendamment de celles portant sur la mutualisation de la dette.
[1] Les contributions à l’EFSI « ne seront pas comptabilisées lorsque (la Commission) définira l’ajustement budgétaire dans le cadre du volet préventif ou correctif du Pacte car ces contributions peuvent être considérées comme des «mesures ponctuelles» qui sont déduites de l’évaluation de l’effort budgétaire en termes structurels ».
[2] Neuf États membres sont actuellement soumis à une telle procédure mais la Commission veut en réduire le nombre à six (Croatie, Espagne, France, Grèce, Portugal et Royaume-Uni). Le traité de l’UE (article 126) définit un déficit budgétaire excessif comme étant supérieur à 3% du PIB. Quant à la dette publique, le traité la considère excessive si elle dépasse 60% du PIB sans qu’elle diminue à un rythme acceptable.
[3] Voir le Programme d’action 2015-2019 de la CES, point 19.
[4] Ce niveau minimum pourrait être tel que défini dans « Une nouvelle voie pour l’Europe : plan de la CES pour l’investissement, une croissance durable et des emplois de qualité » adopté le 7 novembre 2013. Voir également le Programme d’action 2015-2019 de la CES, point 17.