AECG où nous en sommes et ce qui doit changer

Bruxelles, 19 avril 2016

 

DÉCLARATION CONJOINTE DE LA CES ET DU CTC

AECG : où nous en sommes et ce qui doit changer

Lorsque, il y a quelques années, Canada et Europe se sont lancés dans la négociation d’un accord de libre-échange, les espoirs étaient grands de voir cet exercice aboutir à un nouvel « étalon », une nouvelle référence, dans ce domaine : un accord qui montrerait qu’il est possible d’approfondir les liens commerciaux tout en maintenant et en améliorant les normes sociales, de travail et environnementales.

Nous estimions cela possible parce qu’il s’agissait d’une négociation entre deux régions développées ayant des normes élevées dans ces matières. Il semblait en outre que, vu les nouveaux défis émergeant dans le domaine de la cohésion sociale et du développement durable, les temps étaient propices à un changement de paradigme.

Dès le début, le CTC et les syndicats européens ont émis l’espoir de la transparence des négociations et d’une pleine participation des travailleurs et de la société civile. Pourtant, tant en Europe qu’au Canada, il y a eu très peu d’engagement des syndicats et de la société civile durant le processus de négociation. Après des années de secret, le texte entièrement négocié était publié – prétendument sans possibilité d’ouvrir le débat ou de proposer des amendements. Il faut espérer que nous aurons maintenant une véritable opportunité de donner un aperçu de ce que contient l’AECG (Accord économique et commercial global) avant qu’il ne soit soumis au vote.

Depuis que l’accord a été présenté, il n’y a eu que peu de discussions au Canada tandis que les Européens ont eu davantage d’occasions de partager leurs avis. Compte tenu des sérieuses inquiétudes exprimées par les syndicats et par de nombreux groupes de la société civile à propos du RDIE (règlement des différends entre investisseurs et État), les modalités concernant les relations investisseurs-État ont été modifiées dans l’AECG laissant croire à certains que le projet était prêt à être adopté.

Les syndicats des deux côtés de l’Atlantique ne sont pas de cet avis. Le Congrès du travail du Canada et la Confédération européenne des syndicats souhaitent profiter pleinement de l’occasion qui se présente maintenant pour dire que l’AECG demande davantage de travail.

Nous n’avons que peu d’objections concernant les réductions des droits de douane sur la plupart des produits industriels.

Notre plus gros problème vient du fait que, sous prétexte [du droit] d’accès et de non-discrimination, tous les récents accords de commerce réduisent l’espace dévolu aux politiques publiques et multiplient ainsi les entraves pour les gouvernements qui s’efforcent de fournir des services ou de légiférer dans l’intérêt général. Malheureusement, l’AECG ne fait pas exception à cet égard.

Nous souhaiterions proposer plusieurs changements importants.

Parce qu’ils affectent toutes les parties de manière relativement semblable, ces changements ne devraient pas trop bouleverser l’équilibre des concessions qui ont été faites jusqu’à présent mais signifieraient en réalité que toutes les parties conserveraient un espace politique et réglementaire plus important.



Premièrement, tout en prenant note des améliorations apportées aux modalités concernant les relations entre investisseurs et État, nous les estimons insuffisantes. La création d’un système juridictionnel des investissements n’apportera pas de solution au principal défaut de l’arbitrage d’investissement qui est une question non de procédure mais de substance. Selon nous, les disciplines des traités mises en oeuvre par ce cadre d’investissement et d’arbitrage commercial restent pour la plupart inchangées, notamment dans le fait qu’elles traitent les investisseurs étrangers différemment des investisseurs nationaux. Les changements ne répondent toujours pas à la question de savoir pourquoi un système juridictionnel des investissements ou un RDIE est nécessaire, si tant est qu’il le soit, entre pays ayant des systèmes juridictionnels bien développés et efficaces. Un système arbitral investisseur-État qui ne dépend pas des

systèmes juridictionnels nationaux revient en fait à accorder un traitement préférentiel aux investisseurs étrangers.

Deuxièmement, le statut privilégié des investisseurs contraste fortement avec les dispositions très modérées relatives aux normes de travail pour lesquelles aucun mécanisme d’exécution n’est prévu. Aussi modérées soient-elles, le Canada est malgré tout encouragé à ratifier et à pleinement appliquer au moins toutes les normes fondamentales du travail. Nous espérons que ce sera le cas au moment où l’accord entrera en vigueur. Si cet accord a vraiment pour objectif de devenir la référence pour les accords de commerce, les violations de ses dispositions en matière de travail doivent absolument être soumises à sa procédure de règlement des différends et être en fin de compte sanctionnées. De plus, nous souhaitons que soit introduite l’exigence d’un examen complet des mérites

et de l’efficacité des dispositions, tant en matière d’investissement que de travail, après l’adoption finale de l’AECG afin de pouvoir éventuellement les revoir dans un délai de cinq ans.

Troisièmement, s’agissant des services, nous notons l’utilisation d’une « liste négative » qui permet potentiellement aux futurs gouvernements de libéraliser, même dans des domaines qui n’existent pas encore. Cela revient à une libéralisation par défaut pour tous les nouveaux domaines des services. Nous pensons qu’aucun gouvernement sensé ne peut raisonnablement s’engager de la sorte.

Quatrièmement, les services publics ne sont pas catégoriquement exclus de la libéralisation des services envisagée par l’AECG. De plus, les services publics listés dans les exceptions prévues dans l’annexe 1 restent soumis aux clauses dites « de suspension » ou « d’ajustement », ce qui veut dire qu’ils sont soit bloqués aux niveaux actuels de libéralisation ou, s’ils sont davantage libéralisés, qu’ils seront bloqués à ce nouveau niveau de libéralisation. Associée aux modalités concernant les relations investisseur-État, cette disposition se révélera être un obstacle réel et coûteux à tous les niveaux pour les futurs gouvernements qui voudraient augmenter la participation publique dans des services publics autrefois privatisés. L’AECG doit inclure une « liste

positive » des engagements en matière de services mais pas de clause d’ajustement ou de suspension de telle sorte que les services publics soient complètement exclus de l’accord. 

Enfin, bien que nous n’ayons pas de problème avec le fait que des sociétés étrangères aient la possibilité de soumissionner pour des marchés publics dans d’autres juridictions, nous pensons que les propositions actuelles de l’AECG qui appellent à un accès « inconditionnel » sont excessives et vont à l’encontre du but recherché. Les gouvernements locaux doivent avoir la possibilité d’inclure des conditions sociales et environnementales dans leurs appels d’offres publics. Ceci est d’autant plus évident dans le contexte de la crise de l’emploi que plusieurs pays traversent et de l’obligation de répondre au défi climatique.



La capacité d’un gouvernement à transformer les nécessaires investissements publics en outils destinés à améliorer les normes environnementales et à stimuler l’emploi local devrait être une évidence aux yeux de tous. Notre monde est face à de grands et difficiles défis dans les domaines de la durabilité économique et de la cohésion sociale. Les discussions en cours sur l’AECG doivent pleinement tenir compte de ces défis. Les changements récemment apportés aux dispositions relatives au RDIE montrent qu’il est possible et légitime, entre partenaires raisonnables, d’améliorer l’AECG. Ce ne serait pas dramatique si une autre année est consacrée à s’assurer que ce soit un bon accord mais ce serait par contre un vrai drame s’il était voté à la hâte au nom d’un opportunisme politique à court terme. A moins que le texte soit amendé afin de répondre à nos inquiétudes, nous devrons faire appel à nos élus pour qu’ils rejettent l’AECG.