[Le texte prononcé fait foi]
Président,
Rudy, Anne, chères camarades et chers camarades,
C’est un grand plaisir pour moi de prendre part au Congrès de la FGTB ici, à Bruxelles – Je me sens ici vraiment chez moi.
Les syndicats connaissent des temps difficiles partout en Europe.
Ici, en Belgique, vous êtes confrontés à des défis particuliers.
Le prochain gouvernement fédéral sera un gouvernement de droite. Les principaux partis de la coalition s’engagent déjà à favoriser les entreprises et à imposer des réductions massives des dépenses publiques. C'est une nouvelle menace pour le mouvement syndical.
N’est-il pas ironique de constater qu’au moment même où la Suède vire à gauche, une coalition dite « suédoise » s’engage en sens opposé !
Cette coalition aura du pouvoir dans plusieurs domaines cruciaux pour les membres des syndicats, y compris la formation des salaires, les pensions et la sécurité sociale.
Le risque c'est que soient mis en question l'indexation des salaires et le niveau des indemnités de chômage. Les syndicats ont de bonnes raisons de se méfier car les politiciens ont déjà fait connaître leur hostilité vis-à-vis de vos objectifs.
Et vos objectifs sont nos objectifs.
La CES est à vos côtés pour défendre les droits pour lesquels les travailleurs belges se sont longtemps battus.
La Belgique a une longue tradition de dialogue social. Ce dialogue a renforcé le pays, favorisé la croissance, le bien-être et la justice sociale. Les syndicats belges sont parmi les mieux organisés et les plus efficaces en Europe.
Bravo. Vous pouvez en être très fiers.
C'est bien le moment de rappeler à tous nos dirigeants que la représentation démocratique des travailleurs, le syndicalisme, est une condition essentielle à la démocratie et un gage de justice sociale.
Chers amis,
Aujourd'hui le syndicat européen est à la veille d'une étape importante, en forme de point d'interrogation. La CES se prépare à travailler avec un nouveau Parlement et une nouvelle Commission.
Nous percevons quelques signes encourageants mais nous nous posons aussi beaucoup de questions. Depuis le début de la crise, nous avons soutenu que l’austérité n’est pas la solution. Il semblerait enfin que certains dirigeants européens aient compris qu'ils- ou elles ne peuvent plus dire que tout va bien et que les problèmes sont derrière nous.
Comment peut-on dire que tout va bien et que les problèmes sont derrière nous quand plus de millions d'hommes et de femmes sont au chômage, que les inégalités et la pauvreté augmente?
Dans son programme pour la nouvelle Commission, le Président désigné, Jean-Claude Juncker, a promis « Un nouvel élan pour l’Europe » avec un programme pour « l’emploi, la croissance, l’équité et le changement démocratique ». Il reconnaît que, face à la crise, « des erreurs ont été commises » qui ont généré « un déficit d’équité sociale ». Il a aussi parlé de la nécessité de travail décent. Nous en prenons acte.
Il a promis de présenter début 2015 « un plan ambitieux en faveur de l’emploi, de la croissance et de l’investissement ». La CES a réclamé un plan d'investissement beaucoup plus important; mais est-ce un premier pas? Nous ne le savons pas encore. Personne n'a encore clarifié le contenu de ce plan et l'argent qui devait lui être consacré. Il a aussi parlé de la nécessité de travail décent. Dont acte.
Nous nous félicitons de cet accent nouveau mis sur l’équité et la démocratie et nous nous réjouissons de voir les priorités plus clairement définies et le lien fait entre croissance et investissement. Mais nous attendons de voir le contenu de ce programme. Voyons si M. Juncker sera à même de faire adopter son programme par les responsables européens au sein du Conseil.
Chers amis,
Des économistes, dans leurs confortables bureaux, ont décidé que leur théorie était la bonne et qu'il fallait l'appliquer Mais ça ne fonctionne pas; l'austérité ne fonctionne pas.
Nous, nous savons les souffrances que ces politiques infligent aux gens. Ces souffrances-là sont bien réelles; elles n'ont rien de théorique. Il s’agit de vraies personnes, de leurs familles et de leurs moyens d’existence. L’austérité a fait le désespoir de nombreux Européens qui ne sont en aucune façon responsables de la crise.
La CES a rejeté l’austérité et le pacte budgétaire et appelé à une nouvelle voie pour l’Europe. Nous demandons une stratégie revitalisée pour l’emploi de qualité et un plan d’investissement ambitieux pour créer des emplois de qualité.
L’UE a besoin d’une nouvelle politique industrielle qui reconnaisse et soutienne le rôle vital de l’industrie dans la création de richesses.
Nous demandons un investissement supplémentaire à hauteur de 2% annuel du PIB européen sur les 10 prochaines années. Cela contribuera à améliorer les services publics, à développer des technologies respectueuses de l’environnement et à créer jusqu’à 11 millions d’emplois nouveaux.
Les politiques existantes ne font rien pour réduire le chômage. Elles font tout pour augmenter la précarité et les inégalités. Les données de la Commission montrent que plus de la moitié des embauches de 2012 concernait des contrats temporaires – dans leur immense majorité, involontaires. Dans certains secteurs, plus de 70% des nouveaux contrats étaient des contrats temporaires.
Ce sont les travailleurs peu qualifiés qui ont été les plus touchés par les pertes d’emplois, creusant encore l’écart entre riches et pauvres en Europe.
L’emploi précaire ne favorise ni l’innovation ni l’augmentation de productivité pas plus qu’il ne produit des travailleurs bien formés. Demain, la prospérité de l’Europe reposera sur les travailleurs qualifiés et les industries durables.
Comme la FGTB ne le sait que trop bien, les inégalités transfrontalières ont encouragé le dumping social. Dans ce pays, des milliers d’emplois ont été perdus dans le secteur des transports. Les entreprises préfèrent s’installer en Europe de l’Est où elles recrutent des chauffeurs routiers mal payés pour les envoyer en Belgique et aux Pays-Bas. Ces chauffeurs sont forcés de dormir dans leurs camions des mois durant. Ils peuvent ainsi concurrencer les salaires et les conditions de travail applicables localement.
Non, les travailleurs ne sont pas responsables du dumping social. Nous devons œuvrer ensemble - et le slogan de la FGTB le dit: Samen sterk - ensemble on est plus forts - ensemble pour renforcer l’organisation syndicale partout en Europe et riposter à l’augmentation alarmante du soutien aux partis xénophobes d’extrême droite, aujourd’hui fortement représentés au Parlement européen.
L’UE doit également mettre fin au dumping fiscal qui perpétue une concurrence déloyale entre États membres en matière d’emplois et d’industries. L’Europe a besoin d’un régime fiscal équitable. Chaque année, 1.000 milliards € sont perdus au travers de l’évasion fiscale et de la fraude fiscale. Cela doit cesser. Stop à la concurrence fiscale entre pays. Stop à la fraude et à l'évasion fiscale.
L’Europe a besoin d’investissement dans des emplois de qualité pour tous, pas de spéculation financière qui enrichit quelques privilégiés. Une augmentation salariale pour les travailleurs européens contribuerait grandement à stimuler le côté demande de l’économie !
Oui à la taxe sur les transactions financières.
Oui à l'augmentation des salaires.
Comme votre Secrétaire générale l’a souvent fait remarquer, oui les salaires sont le moteur de l’économie. L’Europe ne sera jamais relancée si les travailleurs continuent à toucher des salaires de misère. La convergence sur le marché européen du travail doit se faire par une évolution à la hausse non par un abaissement des normes.
Une belge, Marianne Thyssen, va prendre en charge l’important portefeuille de l’emploi et des affaires sociales. Elle sait comment fonctionne le dialogue social et son importance. On peut toutefois se demander de quelle liberté de mouvement elle disposera sous la houlette du « super-Commissaire » Valdis Dombrovskis, un des architectes de l’austérité en Lettonie, qui assumera la responsabilité globale du dialogue social.
Il est encourageant de voir le dialogue social inscrit à l’agenda de la nouvelle Commission. Nous croyons qu’il doit être une partie intrinsèque du cycle de coordination de la politique économique encore appelé « semestre européen ». Le dialogue social doit être renforcé dans toute l’Union européenne – pas seulement dans la zone euro. Les politiciens doivent toutefois reconnaître l’autonomie des partenaires sociaux dans le processus de négociation collective.
Un mot enfin sur une autre question d’une brûlante actualité : les négociations commerciales transatlantiques. Je connais, bien sûr, la force des sentiments que le mouvement syndical belge nourrit à cet égard.
La CES n’est pas par principe opposée aux accords commerciaux mais nous avons trois exigences fondamentales :
Le respect des normes du travail (OIT) et des normes sociales ;
L’exclusion des services publics ;
Pas de mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États (RDIE) – les investisseurs étrangers n’ont pas besoin de protection particulière. La justice soit être la même pour tout le monde.
Nous rejetons toute interférence qui empêcherait les gouvernements de réglementer dans l’intérêt public. Et nous exigeons la transparence et l’implication des partenaires sociaux.
Nous nous avons un accord avec nos collègues américains de l’AFL-CIO, sur une déclaration de principes communs : le Partenariat transatlantique doit fonctionner pour les gens, faute de quoi il sera rejeté.
Au cours des derniers mois, j’ai clairement exposé nos positions à M. De Gucht et vous pouvez être certains que Madame Malmström, qui prendra sa relève, figure en bonne place sur ma liste de rendez-vous.
Chers amis,
Dans un peu plus de 12 mois, le Congrès de la CES élaborera un programme pour une nouvelle période de travail de quatre ans. Je sais que vous serez fortement impliqués parce que la FGTB est en première ligne pour défendre et promouvoir le syndicalisme européen.
Et maintenant quelques mots en flamand pour mes amis flamands, avec l’accent du sud :
In het licht van bezuinigingen en neoliberalisme, waar de vrije markten voorrang hebben op het algemeen belang, vecht het EVV voor de werknemers en hun gezinnen in heel Europa. Wij rekenen op uw actieve hulp in die strijd.
Finalement, je souhaite adresser un message personnel à votre Secrétaire générale sortante, Anne Demelenne.
Anne, depuis 2006 tu as été la voix de la FGTB au sein de la CES. Membre du comité exécutif et du comité de direction, tu n’as que rarement, et seulement lorsque l’actualité nationale l’imposait, manqué un de nos rendez-vous.
Ton engagement concernant la fiscalité, et particulièrement la fiscalité des entreprises, a porté des fruits. La CES en a fait un de ses chevaux de bataille et continuera à le faire.
Sur les salaires, ton message « les salaires sont le moteur de l’économie » fait maintenant partie de l'ADN de notre organisation.
Depuis ton élection comme secrétaire générale de la FGTB en 2006 tu as considérablement aiguillonné et influencé la marche de la Confédération européenne des syndicats ;
Je te suis infiniment reconnaissante pour ton engagement parfois critique, toujours constructif. Je te souhaite de profiter des moments qui vont venir, moins tendus, plus réflexifs. Tu as gagné le respect de tout le mouvement syndical européen largement représenté ici, et d'abord le mien, enveloppé d’amitié.
Je vous souhaite à tous un excellent congrès et plein succès dans toutes vos campagnes futures.