Bruxelles, 4–5 mars 2008
La Commission a publié 17 octobre 2007, une nouvelle Communication intitulée Moderniser la protection sociale pour renforcer la justice sociale et la cohésion économique : promouvoir l’inclusion active des personnes les plus éloignées du marché du travail, lançant ainsi une deuxième phase de consultation des partenaires sociaux.
Elle fait suite à la première phase de consultation, qu’elle avait lancée, sur la base de l’article 138 du Traité le 8 février 2006, « sur une action à mener au niveau communautaire pour promouvoir l’inclusion active des personnes les plus éloignées du marché du travail », consultation à laquelle la CES a répondu le 15 mai de la même année.
C’est très volontiers que la CES s’inscrit dans ce processus de consultation. Toutefois, elle tient à marquer, pour le moins son étonnement, sur la manière dont elle se déroule.
En effet, il semble que – tel qu’il ressort de la version française du document, mais il ne s’agit pas seulement d’un problème linguistique –la Commission entretienne une certaine confusion dans ses procédures de consultation. En effet, elle associe dans une même démarche la consultation des partenaires sociaux, reposant sur l’article 138 du traité et celle des organisations non gouvernementales (ONGs).
Certes, la CES est favorable à ce que les consultations soient les plus larges possibles, mais elle est opposée à cette confusion des genres qui ne peut conduire, à terme, qu’à une dilution du dialogue social consacré par les Traités, dans le dialogue civil qui relève d’une autre logique. Elle attend donc, dans l’avenir, de la part de la Commission plus de rigueur et un meilleur respect des rôles et prérogatives de chacun des acteurs concernés.
Ceci étant précisé et pour en revenir à la Communication, la Commission y développe trois axes stratégiques :
• porter plus d’attention aux « régimes de revenus minimum » de manière à ce qu’ils jouent pleinement leur rôle d’intégration sociale ;
• exploiter le potentiel de marchés de travail inclusifs, en offrant des formations à chaque chômeur avant son 6ème mois et avant son 12ème mois de chômage un « nouveau départ », en améliorant l’attrait du travail, sa qualité, la croissance de la productivité de la main d’oeuvre et en diminuant la proportion de travail pauvre, ce qui va de pair avec l’objectif d’augmenter les taux d’emplois ;
• améliorer l’accès à des services sociaux de qualité, en lien avec le rôle que peuvent jouer les technologies de l’information dans la fourniture des services sociaux et de santé.
Parmi les actions envisagées, la Commission propose d’approfondir la Méthode ouverte de coordination (MOC) en ce domaine en adoptant des principes communs et en faisant le suivi et l’évaluation de ces derniers. Ces principes communs relatifs aux trois axes de l’inclusion active devraient offrir un cadre concret et intégré pour leur mise en oeuvre. Ces principes communs seraient définis selon les grandes lignes suivantes:
• aide au revenu suffisant pour éviter l’exclusion sociale;
• lien avec le marché du travail ;
• lien avec un meilleur accès à des services de qualité.
La CES, comme elle l’a déjà indiqué dans sa réponse à la première phase de consultation se félicite de ce que la Commission manifeste une attention particulière à cette question et s’inscrit dans la démarche initiée par la Commission, même si elle développe un certain nombre de préalables indispensables à la mise en œuvre de cette stratégie et formule plusieurs propositions conditionnant sa réussite.
{{1. Des préalables indispensables}}
En premier lieu la CES insiste sur le fait qu’elle ne veut pas réduire le débat à une approche trop « workfare », c’est-à-dire prioriser l’emploi à tout prix, sans se préoccuper de la « qualité » de cet emploi. Pour elle, ne pas faire ce lien, c’est entrer dans un « cercle vicieux » (précarité – pauvreté – exclusion). Ce lien est pour elle, en quelque sorte, un préalable.
Autre préalable important pour la CES, c’est celui de la prise en compte, non seulement de la « capacité » de la personne à exercer une activité professionnelle, mais aussi de son « environnement » social : problèmes de mobilité, de logement, de garde d’enfants (surtout, mais non pas exclusivement, pour les familles monoparentales), santé, etc. qui sont des « pré-requis » indispensables à une « inclusion active » sur le marché du travail.
Troisième préalable, le lien très fort qui existe entre des systèmes de protection sociale et le niveau d’exclusion. Ils doivent apporter une réponse « décente » et adéquate, aux personnes concernées, dans les phases de transition qu’elles peuvent rencontrer au cours de leur existence : passage de la santé à la maladie, de la vie active à la pension, de l’emploi au chômage. Ces systèmes doivent être des facteurs « d’inclusion » et non « d’exclusion ».
La garantie d’un revenu minimum doit être, pour la CES, un préalable et non liée à l’acceptation d’un emploi, a fortiori quel qu’il soit ! Même si elle reconnaît qu’il s’agit là, d’un préalable nécessaire mais insuffisant en lui-même.
{{2. Pour des instruments européens plus performants}}
Pour la CES, le fossé important qui existe entre les intentions affichées dans la Communication de la Commission et la réalité au niveau des Etats membres, est une raison supplémentaire et urgente d’agir mieux et plus efficacement.
Et en ce qui concerne les instruments envisagés au niveau européen, la CES estime qu’une nouvelle « recommandation » serait inutile et inopérante, compte tenu des défis posés auxquels il faut répondre.
C’est pourquoi, elle se prononce plutôt en faveur du renforcement de la MOC qui s’appuierait et mettrait en œuvre les principes et les critères déjà contenus dans la Recommandation du Conseil 92/442/CEE du 27 juillet 1992.
Ce renforcement devrait également se traduire par des évaluations régulières à partir d’indicateurs communs à élaborer pour permettre les comparaisons d’un exercice sur l’autre, et pour mesurer de manière plus précise les actions mises en œuvre (et leur efficacité) dans les différents Etats membres afin de remplir ces objectifs. Ces évaluations devraient être suivies de recommandations circonstanciées à chacun des Etats membres sur les progrès, ou non, réalisés.
{{3. Rendre les principes plus efficaces}}
3.1. Aide au revenu suffisante pour éviter l’exclusion sociale
Pour la CES, ce revenu est un droit, tel que reconnu dans la Charte des droits sociaux de l’Union européenne. Ce revenu doit être également « décent », selon la terminologie de l’OIT, ce qui signifie concrètement qu’il ne peut être d’un niveau inférieur à celui retenu pour définir le seuil de pauvreté, au niveau européen. Il doit être un instrument pour combattre la pauvreté et avoir pour finalité de permettre l’insertion. Autrement dit ; ce doit être un revenu « pour l’insertion ».
Pour atteindre cet objectif, ce droit - étant acquis - doit être associé à une « assistance sociale », c’est-à-dire être complété par un accès à :
• une éducation, une orientation et une formation adéquates, ainsi qu’à une reconnaissance sur le marché du travail des compétences « informelles » acquises ;
• des services sociaux et de santé et aux équipements sociaux (cette accessibilité doit être garantie aussi bien géographiquement que financièrement) ;
• un logement décent.
Il doit également être associé à l’existence de systèmes de protection sociale de haut niveau et performants.
Autrement dit, il convient de conjuguer les mesures monétaires avec une politique d’inclusion sociale.
3.2 Marché du travail inclusif
Pour que le marché du travail soit vraiment « inclusif », la condition prioritaire à satisfaire doit être la « qualité » de l’emploi. Autrement dit, la CES dénonce le développement de la précarité de l’emploi (CDD, intérim, temps partiel non choisi, stages etc.), sous les prétextes de la globalisation et de la compétitivité, et donc de la nécessaire flexibilité. Elle estime qu’une attention particulière doit donc être portée sur la « qualité » de l’emploi. Car la précarité ne permet, selon elle, ni de sortir de la pauvreté, ni de l’exclusion sociale.
Elle insiste également sur des approches personnalisées, individualisées, car les conditions personnelles qui mènent à l’exclusion sont toujours « singulières » et les réponses ne peuvent donc être ni globales ni « impersonnelles ».
La CES soutient la proposition de la Commission d’offrir aux chômeurs une formation avant leur 6ème mois de chômage et (le cas échéant) avant leur 12ème mois, ces délais étant considérés comme ultimes. En effet, plus ces formations sont précoces, plus elles sont efficaces pour offrir, selon les termes mêmes de la Commission, « un nouveau départ ».
Cette mesure doit aller de pair avec des efforts renforcés, notamment en matière de formation, visant à permettre la réintégration des chômeurs de longue durée sur le marché du travail.
Mais l’insistance est mise également sur le fait que ces formations doivent viser :
• à accroître leurs compétences et/ou leurs qualifications et non à les remettre le plus rapidement et à « n’importe quel prix » sur le marché du travail ;
• mais aussi à leur permettre d’y rester.
Or, l’on constate que la pratique sur le terrain est trop souvent autre. Et la priorité mise en œuvre dans les Etats membres est de « d’abord travailler » ou « travailler au plus vite », ce qui se traduit par un accès aussi rapide que possible à un emploi au détriment d’un investissement dans des compétences « durables ».
Celles-ci passent préalablement par :
• un bilan de compétences ;
• un accompagnement personnalisé ;
• si flexibilité il doit y avoir, un suivi individualisé.
Il faut aussi impliquer localement toutes les parties concernées : les pouvoirs locaux et/ou régionaux, mais aussi les organisations syndicales et les entreprises qui ont également un rôle important à jouer dans l’insertion des plus exclus du marché du travail. Car, personne n’est a priori « inemployable » ! Et c’est une mise en œuvre tout à fait positive, dynamique et « à valeur économique ajoutée» de la notion de « responsabilité sociale des entreprises » qui se distingue des mesures à caractère purement caritatif.
Et la CES est favorable à ce que les entreprises qui bénéficient d’avantages sociaux ou fiscaux (exonérations partielles ou totales de cotisations sociales, aides diverses…) pour embaucher les personnes les plus éloignées du marché du travail ou les plus précaires et/ou fragilisées, soient en quelque sorte soumises à une obligation de résultat, à savoir créer des emplois stables, et non se contenter de profiter d’effets d’aubaine. Autrement dit, pour la CES, ces « avantages » devraient être « conditionnels ».
Enfin, en référence au « Programme de travail des partenaires sociaux pour la période 2006-2008 », cette préoccupation en faveur des personnes les plus éloignées du marché du travail devrait faire partie des engagements des partenaires sociaux.
{{4. Lien avec des services de qualité}}
La CES rejoint le point de vue de la Commission en faveur de services de qualité. Car, comme il a déjà été dit, nombre de personnes sont confrontées à une multitude de problèmes qui n’ont qu’un rapport indirect avec le marché du travail, tels que l’accès à l’éducation, à la santé, au logement, aux transports.
Mais, pour la CES, il est important plusieurs que les mesures d’incitation soient des mesures « positives » et non « négatives » (des sanctions), car les personnes en difficulté extrême ont plus besoin des support que de sanctions. Ignorer cet aspect, c’est en fait méconnaître les réalités sur le terrain.
Il convient également de travailler avec les acteurs locaux et les organisations clés. Et, agir également auprès des « fournisseurs de services », pour que les services qu’ils proposent répondent bien aux besoins et aux attentes des bénéficiaires. Cela implique que l’action des différents services sociaux intervenants soit coordonnée localement et/ou territorialement.
Il est important que ces services soient diversifiés, voire « personnalisés », autrement dit avec la meilleure adéquation possible aux problèmes à résoudre. Ceci .nécessite donc également que les personnes concernées soient associées aux mesures et aux services développés à cet effet.
Enfin, doivent être prévues des instances de recours contre les refus que peuvent rencontrer les personnes ainsi que l’intervention de conseillers personnels quand les choses se passent mal sur le terrain.
Et d’une manière plus générale, si l’un des objectifs de l’Union est de construire une société européenne de cohésion sociale et de solidarité, il est indispensable de développer pour l’ensemble des citoyens l’intégration économique et sociale et ne pas la restreindre uniquement aux plus pauvres. En effet, sous les effets conjugués de la recherche d’une compétitivité toujours plus poussée et de la globalisation, aucun(e) travailleur(euse), n’est à l’abri, demain, de connaître de telles situations de pauvreté et/ou d’exclusion sociale.
Enfin, si les services sociaux, en particulier, veulent vraiment jouer leur rôle « social », il est important de les resituer dans le cadre plus large de l’ensemble des services d’intérêt général. Et la CES relève une contradiction dans le discours de la Commission qui consiste d’un côté à reconnaître l’importance de ces services sociaux dans les stratégies d’inclusion sociale et le rôle indispensable qu’ils jouent, et d’un autre côté, les soumettre à la stricte loi du marché.
{{5. La nécessaire question des ressources et de l’évaluation}}
Il est important au niveau des Etats membres de mobiliser les ressources financières nécessaires à la mise en œuvre de ces objectifs, faute de quoi ils resteront au rang de vœux et/ou de souhaits inopérants.
Cette mobilisation peut se faire en redéployant ou en réorientant les ressources existantes. Mais aussi en mobilisant les moyens financiers européens existants (fonds structurels, fonds d’ajustement à la mondialisation, etc.).
La CES préconise également que chaque Etat membre s’engage - en fonction de sa réalité sociale et économique - à affecter un pourcentage déterminé de son PIB, à la mise en oeuvre des mesures préconisées et à la réalisation des objectifs fixés par la Commission.
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