Proposition Stages
Adoptée à la réunion du Comité exécutif des 26 et 27 juin 2024
La Confédération européenne des syndicats (CES) prend note, avec certaines réserves, de la ‘proposition stages’ que la Commission européenne a récemment présentée et qui se compose de la Directive concernant l’amélioration des conditions de travail des stagiaires et le contrôle du respect de ces conditions ainsi que la lutte contre les relations d’emploi traditionnelles déguisées en stages (la ‘Directive Stages’) et la Recommandation du Conseil relative à un cadre de qualité renforcé pour les stages.
Nous soutenons l’objectif de la Directive proposée visant à améliorer et à faire respecter les conditions de travail des stagiaires et à lutter contre les relations d’emploi traditionnelles déguisées en stages ainsi que le but de la proposition de recommandation (non contraignante) d’améliorer la qualité des stages. Toutefois, nous estimons que le champ d’application et les mesures identifiées dans la Directive sont insuffisants et ne sont pas entièrement en ligne avec les intérêts des syndicats exprimés lors de deux phases de consultation des partenaires sociaux. Nous rappelons en particulier la nécessité de respecter et d’activement promouvoir la négociation collective et la clause de non-régression qui garantit que cette Directive ne peut (1) abaisser le niveau de protection existant, (2) mener, au niveau national, à l’introduction de toute nouvelle forme d’emploi non standard (travail précaire et nouvelles formes de contrat) et (3) créer une troisième (nouvelle) catégorie de travailleurs.
Il faut établir un meilleur équilibre et une meilleure distinction entre les deux outils (la Directive et la Recommandation) et la Directive doit être sensiblement amendée afin d’apporter davantage d’améliorations législatives à la situation actuelle et d’améliorer de manière significative la situation des stagiaires.
Evaluation de la CES
La principale lacune de la proposition de Directive réside dans le champ d’application et les définitions. En effet, cette proposition laisse entendre que seuls les stagiaires qui disposent d’un contrat de travail ou d’une relation d’emploi telle que définie par la loi ou qui sont couverts par une convention collective ou une pratique en vigueur dans chaque État membre eu égard à la jurisprudence de la Cour de justice[1] devraient bénéficier de cette Directive. Cependant, elle n’aborde pas la question des stages après l’obtention d’un diplôme (comme le PE l’a proposé dans sa résolution sur des stages de qualité dans l’Union européenne) et ignore les formes de stages les plus abusives qui sont non rémunérés. La proposition ne précise pas non plus en quoi consistent les stages (ou ce qu’ils devraient être) ni n’accorde de nouveaux droits supplémentaires aux jeunes qui les entreprennent. En revanche, elle met l’accent sur une série non exhaustive d’indicateurs que l’inspection du travail / les autorités nationales compétentes devraient utiliser pour détecter les stages qui sont abusivement utilisés pour remplacer des emplois du bas de l’échelle.
La proposition traite tous les stages de manière égale et indépendamment de leur type, ce qui est source de confusion, porte atteinte à la diversité existante et risque de générer un grand degré de variation dans les approches de mise en œuvre.
De plus, bien que l’inspection du travail / les autorités compétentes (selon la pratique nationale) ont un rôle important à jouer lorsqu’il s’agit de détecter et d’agir en cas de faux stages, celles-ci ne peuvent pas avoir une responsabilité disproportionnée face à ce problème alors que les États membres et les fournisseurs de stages n’en ont aucune ou très peu.
La voie vers une meilleure directive
Portée et définition
La CES insiste sur la nécessité de clarifier la définition des stages afin d’assurer qu’ils ne sont pas uniquement liés à une relation d’emploi, ce qui poserait problème pour trois raisons importantes : (1) cela pourrait finalement mener à la création d’une troisième catégorie de travailleurs, (2) cela exclut les stagiaires qui ne bénéficient d’aucune rémunération, (3) cela entretient la confusion entre les stages effectués dans le cadre du système éducatif, les apprentissages et les stages après obtention d’un diplôme. La Directive ne devrait pas couvrir les apprentissages.
Par contre, la définition devrait porter sur le type de stage effectué hors du cadre du système éducatif (pas pour des crédits universitaires ou autres). Les types de stage sont :
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les stages sur le marché ouvert de l’emploi ;
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les stages relevant des politiques actives du marché du travail (PAMT) ;
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les stages obligatoires dans le cadre de la formation professionnelle.
En outre, la directive devrait stipuler que toutes les formes de stages où les stagiaires doivent de facto effectuer des tâches telles que celles d'autres travailleurs (emploi déguisé) doivent être pleinement couvertes par le droit du travail et le droit social pertinents, ainsi que par les conventions collectives.
La CES soutient le but de la Recommandation de la Commission d’assurer des conditions de travail équitables et sûres pour les stages entrepris dans le cadre du système éducatif conformément aux traités de l’UE, le droit du travail et les conventions collectives tant au niveau national qu’au niveau européen.
Tous les stagiaires qui doivent de facto effectuer des tâches telles que celles d'autres travailleurs sont effectivement des travailleurs et doivent être traités comme tels, avec tous les droits et protections applicables aux travailleurs. Cette approche garantirait que les personnes effectuant des stages avant l’obtention de leur diplôme (alors qu’elles sont aux études) et les apprentis restent exclus de cette proposition et relèvent d’une règlementation nationale. Elle serait également conforme à l’idée de faciliter la transition du système éducatif au marché du travail tout en assurant que la première expérience de travail (ce à quoi les stages sont destinés) soit le début d’une entrée réussie dans la vie active et non un premier pas dans la précarité.
Egalité de traitement
S’agissant des conditions de travail, y compris les salaires, les États membres sont tenus de s’assurer que les stagiaires ne sont pas moins favorablement traités que les employés comparables. Les salaires inférieurs au salaire minimum et l'absence de protection sociale excluent les jeunes du droit à un salaire égal pour un travail égal alors que les études ont, à maintes reprises, démontré qu’ils sont aussi inefficaces à stimuler le taux d’emploi des jeunes.
Stages de qualité
Dès le début de notre plaidoyer, la CES et les institutions de l’UE ont noté que la difficulté de règlementer en matière de stage réside dans la diversité des systèmes nationaux. C’est la raison pour laquelle un chapitre établissant les critères minimaux pour des stages de qualité partout en Europe ne peut être omis dans la proposition. Au contraire, c’est l’outil pour définir le niveau plancher et les conditions équitables là où les stagiaires ne disposent pas d’un contrat de travail ou d’une relation d’emploi comme prévu par la loi, les conventions collectives ou la pratique en vigueur dans chaque État membre compte tenu de la jurisprudence de la Cour de justice.
La Directive doit déterminer les critères qui définissent la qualité des stages :
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Contrats de travail non renouvelables enregistrés auprès des autorités compétentes conformément à la pratique nationale assurant la transparence et permettant un contrôle adéquat et la collecte de données ;
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Fixation d’une durée de stage maximum de six mois ou d’un an en raison de circonstances exceptionnelles (dûment justifiées) ;
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Fixation des objectifs d’apprentissage dans le contrat écrit ;
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Confirmation dans le contrat écrit de la mise en place d’un mentorat adéquat et de modalités de supervision ;
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La rémunération ne devrait pas être inférieure au salaire minimum et devrait également être alignée sur les dispositions de la Directive 2022/2041 et des conventions collectives ;
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Accès à la sécurité sociale applicable aux travailleurs selon la pratique nationale et en ligne avec les recommandations du Conseil relative à l’accès à la protection sociale des travailleurs salariés et des indépendants (2019/C 387/01) ;
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Mesures en matière de santé et de sécurité au travail conformes à la législation nationale et de l’UE ;
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Droit à une période de repos conforme à la Directive sur le temps de travail (2003/88/CE).
La CES note que les critères de qualité minimaux contribueront également à un traitement équitable dans l'ensemble de l'UE, étant donné le nombre croissant de stages transfrontaliers.
Promotion et importance du dialogue et de la négociation collective
L'une des tâches essentielles de la CES est de promouvoir les droits sociaux et les droits des travailleurs dans le cadre juridique de l'UE. Les défis auxquels sont confrontés les travailleurs dans les États membres de l'UE sont différents, mais la lutte pour des salaires plus élevés et de meilleures conditions de travail est universelle. Le marché intérieur intégré de l'UE rend plus importante que jamais la lutte pour des conditions de concurrence équitables, sans dumping social et dans le respect des droits sociaux et des droits du travail.
La CES soutiendra toujours ses affiliés nationaux dans leur lutte pour la négociation collective et leur liberté de maintenir, de conclure et d'appliquer des conventions collectives qui peuvent être un meilleur outil pour mettre en œuvre et compléter les initiatives législatives de l'UE en fonction des pratiques et des cadres nationaux. À cet égard, la directive doit reconnaître l'importance pour les partenaires sociaux de disposer d'un espace de négociation et de mener des négociations collectives.
Responsabilités des fournisseurs de stages
La qualité des stages est en tête des préoccupations des jeunes en raison de leur exploitation persistante par certains employeurs comme constituant une main-d’œuvre bon marché, voire gratuite. Le principal objectif de la Directive devrait être de combler autant que possible une lacune du droit qui permet une telle exploitation partout en Europe. Si nous définissons les responsabilités de l’employeur, c’est alors (comme la proposition l’envisage) le rôle de l’inspection du travail / des autorités compétentes de contrôler et de suivre la procédure applicable en cas d’infraction.
Un règlement devrait veiller à ce que :
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Les fournisseurs de stages n’exigent pas une expérience professionnelle préalable lorsqu’ils émettent ou publient des annonces de postes de stages à pourvoir ;
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Le nombre de postes de stages dans l’entreprise peut représenter un maximum de 20% du nombre de postes permanents ;
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Le stagiaire et le fournisseur de stages doivent conjointement fixer les objectifs d’apprentissage. Les tâches que doit effectuer le stagiaire doivent être étroitement liées aux objectifs d’apprentissage ;
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Supervision, mentorat et contrôle des progrès doivent être garantis durant tout le stage ;
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L’employeur doit fournir les informations relatives aux stages aux autorités légales compétentes, aux représentants des travailleurs et aux syndicats.
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L'employeur n'a pas le droit de demander une contribution financière au stagiaire.
Combattre les relations d’emploi traditionnelles déguisées en stages et lutter contre les faux stages
Comme la proposition de Directive reconnaît le problème et vise à s’y attaquer, les stages remplacent souvent des emplois du bas de l’échelle en raison d’une absence de réglementation. Des stages rémunérés ou non rémunérés peuvent remplacer des relations d’emploi traditionnelles. C’est pourquoi il est crucial d’élargir le champ d’application d’une Directive couvrant également les stages non rémunérés. En plus de mesures de contrôle et d’exécution, des règles et des critères clairs devraient être implémentés pour faciliter la détection de cas d’exploitation. Sur base de l’identification de ce que sont les critères de qualité en matière de stages (et la manière dont ils se différencient des emplois traditionnels / des emplois du bas de l’échelle), les autorités compétentes (inspection du travail ou autres) devraient bénéficier d’un accompagnement approprié et ciblé ainsi que de moyens humains et financiers pour mener les inspections, veiller aux mesures d’exécution et pallier le manque de plaintes officielles documentées du fait du déséquilibre dans le rapport de force entre le stagiaire (qui souvent aspire à un poste permanent) et l’employeur. Les mesures d’austérité qui impacteront la capacité du service public (y compris l’inspection du travail) ne peuvent affecter le bien-être des travailleurs et l’accès à leurs droits.
Dans ce but, les mesures de soutien suivantes devraient être introduites par les États membres :
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Un canal dédié aux dépôts de plaintes par les stagiaires et les syndicats devrait être établi ;
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Les stagiaires devraient être informés et avoir accès aux syndicats présents sur le lieu de travail ;
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L’inspection pourrait avoir lieu rétroactivement (après la fin du contrat) ;
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Des amendes et des mesures dissuasives devraient être définies,
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par ex. l’interdiction temporaire de proposer de nouveaux postes de stage ;
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Une liste d’éléments clairs relatifs aux faux stages, et la manière de les reconnaître, devrait être établie en coordination avec les partenaires sociaux (sectoriels).
Un observatoire des stages devrait être créé pour la collecte de données au niveau national et au niveau transnational.
[1] L'utilisation de la jurisprudence de la CJCE exclut les stagiaires les plus vulnérables du champ d'application de la directive, à savoir les stagiaires non rémunérés.