Prochaines étapes de la CES pour un travail via les plateformes équitable

Prochaines étapes de la CES pour un travail via les plateformes équitable

Discutée lors de la réunion du Comité exécutif des 24-25 juin 2024

 

La directive relative à l’amélioration des conditions de travail dans le cadre du travail via une plateforme devrait être finalement adoptée après un long processus et après la lutte entre les gouvernements progressistes, les députés européens et les syndicats représentant les voix des travailleurs, et les gouvernements libéraux qui se sont rangés du côté des plateformes et enchantés par leurs promesses d’offrir des emplois au prix du démantèlement du cadre européen en matière de travail et de droits sociaux.

Cette victoire n’est pas seulement un jalon politique ; elle témoigne de la résilience des efforts collectifs face aux défis posés par l’évolution de l’organisation du travail et la dynamique du pouvoir au sein de la sphère économique européenne. 

La CES est particulièrement satisfaite de voir que la première législation traitant de la mauvaise classification et du rôle des algorithmes dans le travail sur plateforme a été finalisée, incluant des outils politiques ambitieux dans le contexte d’une opposition farouche des lobbies des plateformes, des associations d’entreprises et de leurs soutiens dans certains gouvernements. 

La lutte des syndicats a eu un impact sur l’élaboration des politiques européennes. En 2019, la CES et ses affiliés ont réussi à mettre à l’ordre du jour cette question, laissée de côté auparavant par la CE au nom d’une attitude de laisser-faire à l’égard de l’innovation technologique. Toutefois, rien ne garantissait en 2019 que nous obtiendrions les résultats que nous avons obtenus. À l’époque, des mesures étaient en préparation pour améliorer la protection sociale des travailleurs indépendants et leur accès à la négociation collective dans le cadre du droit de la concurrence. Grâce aux mobilisations des travailleurs, à des procès victorieux, à des propositions législatives et à notre travail de plaidoyer, nous avons imposé les éléments d’une classification correcte du statut professionnel et de la transparence algorithmique. En 2020, le Comité exécutif de la CES a fixé ses priorités et, pour la première fois dans le débat européen, a proposé la présomption de relation de travail et l’inversion de la charge de la preuve. Fin 2021, le rapport d’initiative du PE, suivi de la proposition de directive de la CE, reprend nos propositions. Nous avons également obtenu une directive, et non des recommandations, et une couverture de tous les secteurs, et pas seulement du travail via les plateformes de transport de passagers et de livraison de nourriture. Au cours du processus législatif (2022-2024), malgré les difficultés croissantes rencontrées avec le Conseil, nous avons veillé à ce qu’aucun accord ne soit préjudiciable aux travailleurs. Nous avons réussi à éliminer les critères de déclenchement de la présomption de relation de travail, que la CES avait identifiés dès le départ comme un obstacle.  

Cette résolution analyse les principales caractéristiques de la directive. Elle identifie la voie à suivre pour parvenir au plein respect des droits des travailleurs dans l’économie de plateforme le plus rapidement possible au cours de la période de transposition. 

 

La directive relative à l’amélioration des conditions de travail dans le cadre du travail via une plateforme  

La revendication emblématique de la CES concernant la présomption de relation de travail deviendra une réalité pour chaque système national où les travailleurs des plateformes se retrouvent dans les groupes surpeuplés de travailleurs atypiques, passant entre les mailles du filet de l’acquis social. Cet outil procédural, conditionné par l’inversion de la charge de la preuve, ne peut donc pas fonctionner avec les critères obstructifs qui ont été discutés aux différents stades des négociations, mais au lieu de cela, il a été précisé que la directive doit apporter une offre de facilitation procédurale qui ne peut pas augmenter la charge existante pour la personne effectuant un travail de plateforme.

Cette directive ne modifie ni la définition des travailleurs ni celle des indépendants, et la facilité de procédure accordée aux travailleurs change la donne

En outre, les dispositions insérées tardivement dans le compromis final (article 24, paragraphe 3) prévoient la coopération entre les États membres pour la mise en œuvre de la présomption légale, ce qui devrait faciliter l’instauration de conditions de concurrence équitables dans une certaine mesure. 

Le chapitre sur la gestion algorithmique dans l’économie de plateforme est la première législation de ce type, et notre mouvement y a laissé une forte empreinte. Le recours à ce type d’outil a explosé et il était donc crucial de garantir les droits des syndicats à représenter efficacement les travailleurs dans cette nouvelle configuration de travail, avec l’objectif que l’innovation ne puisse pas interférer avec les droits existants des travailleurs. Cette première étape devrait servir de base à un futur règlement sur l’intelligence artificielle sur le lieu de travail.

La directive permet aux travailleurs des plateformes, à leurs représentants et aux autorités nationales compétentes d’être informés sur les systèmes de surveillance ou de prise de décision automatisés. Elle garantit le droit à l’intervention humaine et le droit de recevoir des explications sur les décisions prises par ces systèmes. Elle met également un terme à certaines activités dangereuses actuellement utilisées par les plateformes numériques de travail, notamment l’utilisation de données à caractère personnel pour analyser l’état émotionnel ou psychologique des personnes engagées dans le travail sur plateforme et déterminer si elles travaillent actuellement (surveillance).

Les syndicats sont reconnus comme des représentants des travailleurs et auront également le droit d’entreprendre des actions de requalification. Le droit de négociation collective est essentiel pour contrebalancer le pouvoir économique considérable de l’employeur et promouvoir la démocratie sur le lieu de travail. La directive reconnaît et promeut ce droit tout en confirmant les dispositions existantes en matière d’information et de consultation dans le cadre du travail sur plateforme et de la gestion algorithmique. En outre, des canaux de communication pour les travailleurs des plateformes seront mis en place par les entreprises de plateforme, ce qui peut créer un nouvel élan pour l’organisation et peut être utilisé par le syndicat pour compenser l’obstacle de la décentralisation du lieu de travail et de la barrière de la langue.

 

Une marge d’ambition au niveau national 

Dans les compromis nécessaires à l’obtention de la directive, certains éléments importants ont été perdus. Cependant, alors que les discussions touchent à leur fin, les syndicats devraient être prêts à mener une campagne vigoureuse pour la réintroduction de ces mesures cruciales au niveau national.

Plus les mesures de soutien seront fortes, plus vite le problème de l’abus de faux indépendants sera éradiqué. La directive demande aux États membres de mettre en place des procédures pour « identifier, cibler et poursuivre » les plateformes qui ne respectent pas les règles (Art 6) et de mener des contrôles et des inspections sur les plateformes où une requalification a déjà été décidée. La CES estime que des inspections automatiques et des mesures simplifiant la requalification des travailleurs employés par la même entreprise que celle où le cas de requalification a été conclu sont les meilleurs moyens d’avancer, car elles réduiraient les coûts pour les autorités nationales compétentes, apporteraient une sécurité juridique aux plateformes et garantiraient l’égalité de traitement entre les travailleurs.  

La directive prévoit la nécessité d’améliorer l’expertise technique des autorités compétentes dans le domaine de la gestion algorithmique, avec des ressources appropriées. La CES souligne l’importance de clarifier davantage cette mesure afin de s’assurer que la compréhension des algorithmes opaques est souvent un élément clé dans la détermination du statut du travailleur. À cet égard, une meilleure intégration entre le chapitre II (Statut professionnel) et le chapitre III (Gestion algorithmique) devrait être envisagée au cours de la phase de mise en œuvre. Des ressources ciblées pour la formation et le renforcement des capacités devraient être fournies aux représentants des travailleurs. 

Les travailleurs migrants sont ici vulnérables à une double exploitation. Tout d’abord, les travailleurs des plateformes ne peuvent pas bénéficier des protections prévues par le droit du travail et les syndicats continuent de rencontrer des difficultés pour les atteindre et les organiser. Deuxièmement, ils peuvent faire l’objet d’une exploitation en raison de leur statut de migration et de résidence, surtout s’ils sont sans papiers. L’ETUI confirme que les migrants travaillent plus intensivement par l’intermédiaire des plateformes et sont plus dépendants économiquement de celles-ci, avec le risque permanent (si ce n’est la pratique actuelle) que les plateformes piègent les migrants dans un travail relativement facile à obtenir, mais qui peut offrir peu de chances d’évolution de carrière. Bien que cet aspect soit absent de la directive, la CES rappelle ses demandes de protection des ressortissants de pays tiers sans papiers contre les représailles et l’expulsion, en particulier lorsqu’ils intentent des actions en justice pour obtenir les droits des travailleurs.  

Le développement des marchés du travail en ligne permet une flexibilité spatiale et temporelle du travail qui, si elle n’est pas contrôlée, risque fortement d’exacerber les inégalités entre les hommes et les femmes. Malgré les promesses d’une gestion algorithmique « aveugle au genre », les données ont révélé des écarts de rémunération frappants entre les hommes et les femmes dans le travail à distance par l’intermédiaire d’une plateforme. Même si l’idée générale de la directive est bonne, les politiques efficaces ne doivent pas se contenter d’aborder la question de l’emploi et des conditions de travail. Il est également essentiel de s’attaquer aux inégalités et aux discriminations structurelles fondées sur le sexe, telles que la répartition inégale des tâches ménagères et des responsabilités familiales. À cet égard, les mesures nationales et l’engagement des partenaires sociaux sont essentiels pour garantir une conception du travail qui transforme le genre en ce qui concerne les algorithmes et les mécanismes de tarification des différentes tâches.  

Comme c’est la pratique dans l’élaboration des politiques de l’UE, la responsabilité des mesures d’application est laissée aux États membres. Des exemples de toute l’Europe soulignent le besoin critique de mécanismes d’application robustes et d’amendes dissuasives pour obliger les plateformes numériques à respecter les réglementations. La création d’un patchwork d’approches entre les États membres s’avérerait contre-productive, car il est primordial d’empêcher les plateformes de choisir des marchés « faciles ». Les institutions européennes devraient surveiller de près les infractions.  

Bien que l’application de la législation soit laissée aux États membres, l’action syndicale à travers l’Europe contribuera à accélérer l’application de la législation dans d’autres pays, car les travailleurs sont confrontés partout aux mêmes géants technologiques multinationaux. Par conséquent, une victoire dans un pays ou un secteur aidera sans aucun doute les travailleurs d’autres pays.


 

Annexe I

Soutien de la CES aux membres 

La directive, qui entrera dans la période de mise en œuvre de deux ans à l’automne 2024, est un signal important pour les syndicats pour poursuivre et intensifier leurs efforts pour organiser les travailleurs des plateformes, car il est confirmé que le secteur est en croissance, et la voix des travailleurs des plateformes est essentielle pour une mise en œuvre équitable. La CES réaffirme son engagement continu à soutenir nos membres dans la réalisation d’un travail via des plateformes équitable. 

Les réunions en ligne du groupe de travail ad hoc, qui ont joué un rôle crucial dans la coordination de notre processus de plaidoyer en faveur de la directive, se poursuivront régulièrement.  

Les documents de la CES restent des outils pertinents pour l’organisation des travailleurs des plateformes et l’élaboration de politiques au niveau national.   

L’échange de bonnes pratiques entre les experts nationaux s’est avéré être l’un des outils les plus appréciés. La CES poursuivra cette pratique avec le soutien du nouveau projet « Plateformes équitables » qui, au cours des deux prochaines années, proposera, entre autres, des séminaires thématiques et des rapports d’experts sur les sujets suivants : 

  • Les secteurs de l’économie qui s’orientent vers le travail via des plateformes 

  • Conditions de santé et de sécurité dans le travail via des plateformes 

  • Négociation de l’algorithme 

  • Mise en œuvre de la directive 

L’objectif est d’améliorer la capacité de nos membres à agir rapidement et à coordonner leurs actions au-delà des frontières pour relever les défis posés par cet environnement en constante évolution. 

La plateforme syndicale Platfor(u)m devrait être inscrite à l’agenda de tous les syndicalistes et représentants des travailleurs (dernier week-end de septembre) impliqués sur le terrain. Après l’Autriche en 2022 et l’Espagne en 2023, Platfor(u)m aura lieu en France en 2024, où les affiliés français de la CES accueilleront conjointement sa troisième édition (25-27 septembre). Cet événement réunira plus de 100 participants internationaux, dirigeants syndicaux, experts et décideurs politiques pour des échanges de haut niveau et des ateliers participatifs animés par nos membres. 

Les négociations qui ont abouti à la directive ont été particulièrement compliquées, exacerbées par l’intérêt des médias et la désinformation qui entoure souvent son contenu. C’est pourquoi la CES a demandé à la Commission d’établir un groupe d’experts informel sur la transposition de la directive. Il est de la plus haute importance que ce groupe commence à travailler rapidement après l’adoption finale par toutes les institutions au cours de la prochaine législature. Sur la base des pratiques antérieures, les partenaires sociaux disposeront d’un petit nombre de places (4-5 pour chaque partie) attribuées à nos membres qui participeront régulièrement à ces réunions remboursées à Bruxelles. Un appel à candidatures sera lancé dès la confirmation de la création de ce groupe. Les réunions en ligne préparatoires aux réunions du groupe d’experts seront ouvertes à tous les membres du groupe de travail ad hoc.