Résolution de la CES : Préserver le consensus tripartite dans la législation européenne en matière de santé et de sécurité au travail - Évaluation de la proposition de la Commission européenne pour une 6e révision de la directive CMR
Adoptée lors de la réunion du Comité exécutif des 1 et 2 octobre 2025
La CES appelle la Commission européenne à respecter et à faire respecter les résultats des accords tripartites consensuels dans le cadre de la procédure législative ordinaire en matière de sécurité et de santé au travail.
Le Comité consultatif pour la sécurité et la santé sur le lieu de travail (CCSS) joue un rôle central dans l'élaboration de la politique de l'UE en matière de SST dans la préparation, la mise en œuvre et l'évaluation des initiatives liées à la sécurité et à la santé au travail. Ce rôle est important, entre autres, dans le contexte de l'établissement de limites d'exposition professionnelle contraignantes pour les substances dangereuses, pour lesquelles le CCSS fournit des avis d'experts. Composé de représentants des gouvernements, des organisations patronales et des syndicats de tous les États membres de l'UE, sa structure tripartite garantit que toutes les voix sont équitablement représentées. Lorsque le CCSS adopte un avis consensuel, celui-ci reflète un soutien large et solide, fondé sur l'expérience pratique et les réalités du monde du travail dans toute l'UE. Ces avis, en particulier ceux adoptés par consensus, sont le résultat de discussions approfondies et exhaustives, au cours desquelles tous les groupes d'intérêt s'efforcent sincèrement de surmonter leurs divergences, et y parviennent. Ce processus confère une légitimité et un poids aux initiatives de l'UE et contribue à renforcer la coopération et à améliorer l'efficacité de la mise en œuvre dans les États membres. Historiquement, la Commission européenne a toujours respecté les conclusions de ces avis consensuels lors de l'élaboration de propositions législatives ou de révisions, ainsi que de politiques dans le domaine de la SST.
En juillet, la Commission européenne a présenté une proposition modifiant la directive 2004/37/CE (relative à la protection des travailleurs contre les risques liés à l'exposition à des agents cancérigènes ou mutagènes au travail) en ce qui concerne l'ajout de substances et la fixation de valeurs limites dans ses annexes I, II et III. La CES a évalué la proposition législative à la lumière de notre document de référence politique, la position de la CES sur la réponse à la consultation des partenaires sociaux sur la CMRD6 (adoptée par le Comité exécutif les 27 et 28 septembre 2023). Si nous nous réjouissons que quatre des cinq substances identifiées aient été prises en compte dans la proposition, nous notons avec inquiétude que, pour la première fois, la Commission s'est considérablement écartée d'un avis du CCSS lors de la présentation de la proposition législative. En septembre 2023, ce comité a adopté à l'unanimité un avis demandant l'inclusion d'une limite d'exposition contraignante pour l'isoprène dans l'annexe III de la directive. Cette demande a été soutenue par la CES.
Les polymères d'isoprène sont le principal composant du caoutchouc naturel, les pneus étant les produits les plus courants fabriqués à partir d'isoprène. Une exposition à court terme ou unique à l'isoprène peut provoquer une irritation du nez, de la gorge et des poumons, et entraîner des symptômes tels que des maux de tête ou des vertiges. Une exposition à long terme ou répétée a été associée à des problèmes de santé graves, notamment le cancer du foie.
L'argument avancé par la Commission européenne selon lequel une valeur limite n'est pas nécessaire en raison du faible niveau d'exposition actuel est peu convaincant, car les données peuvent ne pas refléter les conditions réelles sur le lieu de travail et l'exposition future pourrait augmenter. La CES rappelle que la fixation d'une limite professionnelle est une mesure préventive, compte tenu notamment des cas passés de réintroduction de substances dangereuses sur les lieux de travail. De plus, si l'exposition actuelle est déjà inférieure à la limite proposée, cela favorise la mise en œuvre sans imposer de charge aux entreprises.
La Commission semble remettre en question la faisabilité des avis consensuels tripartites, en particulier en ce qui concerne leur mise en œuvre dans les petites et moyennes entreprises. Ce discours fait écho à des tendances plus générales à la déréglementation, telles que celles observées dans les initiatives législatives « omnibus ».
À notre avis, cela risque de compromettre le caractère démocratique et participatif de l'élaboration des politiques sociales de l'UE. L'avis consensuel de l'ACSH démontre lui-même la faisabilité de la révision réglementaire proposée, reflétant l'engagement de toutes les parties prenantes en faveur de sa mise en œuvre réussie.
Outre les éléments des avis du CCSS qui n'ont pas été repris dans la proposition législative de la Commission européenne, plusieurs demandes importantes formulées par la CES dans sa réponse à la consultation des partenaires sociaux ont également été omises. Il s'agit là de priorités essentielles pour la CES qui, malheureusement, n'ont pas pu être intégrées dans les avis du CCSS en raison d'un manque de consensus avec les deux autres groupes d'intérêt. Elles ont donc été incluses dans notre réponse indépendante à la consultation des partenaires sociaux. Il convient de noter que lorsque le CCSS n'aborde pas un sujet, il est toujours possible que celui-ci soit repris par la Commission dans sa proposition législative. Il est important de souligner que la Commission européenne ne devrait pas affaiblir un avis consensuel dans sa proposition législative en modifiant ou en supprimant des éléments sur lesquels les parties se sont mises d'accord. Elle peut toutefois ajouter des mesures supplémentaires sur des questions qui ne sont pas explicitement abordées par le CCSS. De même, le Parlement européen peut renforcer le paquet de mesures, notamment en tenant compte des demandes reçues lors de la consultation des partenaires sociaux.
Les autres demandes de la CES issues de la consultation des partenaires sociaux étaient les suivantes : La proposition ne fait pas référence au genre ni aux groupes vulnérables, comme le recommandait la CES. En outre, la CES avait explicitement conseillé d'inclure les pompiers parmi les professions protégées ; cependant, la proposition ne les mentionne que brièvement dans le contexte de l'exposition aux hydrocarbures aromatiques polycycliques (air contaminé par les gaz d'échappement des moteurs ou d'autres fumées dangereuses). La CES a également appelé à l'établissement d'une limite d'exposition professionnelle générique pour les poussières inhalables et respirables, qui n'a pas été intégrée (et pour laquelle l'ACSH a décidé à l'unanimité de fixer une limite professionnelle obligatoire en mai 2024). En outre, la Commission s'était engagée à présenter une proposition de définition des substances médicales dangereuses, à la suite des efforts de plaidoyer menés précédemment par les syndicats européens et conformément aux obligations légales découlant des révisions antérieures de la directive, mais cet engagement n'a pas été respecté.
Compte tenu de ces développements, la CES exhorte la Commission européenne à :
- Respecter les conclusions des avis consensuels tripartites émis par le CCSS lors de l'élaboration de la législation en matière de SST.
- S'abstenir d'introduire dans l'analyse d'impact de nouveaux scénarios autres que ceux inclus dans les avis consensuels, car cela compromet la légitimité, l'efficacité et l'efficience du processus tripartite. À cet égard, la jurisprudence du Tribunal général indique clairement que la Commission européenne ne peut se retrancher derrière des considérations procédurales pour reporter une action réglementaire. Dans l'affaire Royaume de Suède c. Commission européenne (affaire T-521/14, 16 décembre 2015), la Cour a statué que la législation de l'UE impose une obligation claire et inconditionnelle d'agir pour protéger la santé et la sécurité, et que ces obligations priment sur la commodité procédurale. En matière de SST et de produits chimiques, ce précédent renforce notre exigence que la protection de la santé des travailleurs ne soit pas compromise par des évaluations prolongées ou des pressions externes.
- En ce qui concerne le cas spécifique de la 6e révision de la directive CMRD, il est essentiel de respecter le contenu des avis consensuels tripartites adoptés par l'ACSH en septembre 2023 sur les substances dangereuses, y compris donc la reconnaissance par de l'isoprène comme substance dangereuse, ainsi que les demandes exprimées par la CES dans ses deux réponses à la consultation des partenaires sociaux.
La CES réaffirme son engagement en faveur de la protection de la sécurité et de la santé des travailleurs et appelle à un processus législatif qui valorise et préserve le dialogue social. La proposition de la Commission européenne suit désormais la procédure législative ordinaire, dans le cadre de laquelle le Parlement européen et le Conseil négocieront leurs positions respectives et engageront des discussions en trilogue avec la Commission afin de parvenir à un accord final. La CES appelle les colégislateurs à veiller à ce que les revendications syndicales soient pleinement prises en compte dans la législation adoptée.